Günther Anders est un philosophe plus intéressant car plus lucide et radical que sa première épouse Hannah Arendt, ainsi qu’il le raconte dans
Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ? :
« La deuxième coupure [dans ma vie] fut l’arrivée d’Hitler au pouvoir : avant qu’elle ne commence, je savais qu’Hitler allait signifier guerre mondiale (je m’étais ridiculisé, en France, avant 1933, en risquant ce pronostic). Sur le plan de la subjectivité, cette coupure s’exprima par le fait que je devins un type bizarre, sombre et difficile à supporter pour ceux qui vivaient à mes côtés, notamment pour celle qui était alors ma femme, je devins quelqu’un qui non seulement s’appliquait jour après jour – et il lui avait d’abord fallu apprendre à le faire – à haïr continuellement et de toutes ses forces, mais aussi quelqu’un qui (comme si cela avait jamais, un jour, d’une manière ou d’une autre, apporté quelque chose à quelqu’un) se faisait de cette haine un devoir. » (p. 63).
A l’opposé d’autres philosophes « chiens de garde » selon l’expression de Paul Nizan, il dénonça l’empire états-unien militaro-industriel, ce qui explique son ostracisme médiatique :
« dans mon livre sur le Viêt-nam, Visit beautiful Vietnam, [...] j’ai clairement montré que l’industrie ne produit pas des armes pour les guerres, mais provoque des guerres pour les armes. Qu’elle a besoin de la guerre pour s’assurer que l’on utilise ses produits, qu’elle ne peut pas « vivre sans tuer », que l’usure des armes est nécessaire pour que la production continue. Les armes sont des marchandises idéales – le marxisme a peu parlé de cela, jusqu’à présent –, car ce sont des produits qui, tout comme les biens de consommation, ne servent qu’une seule fois. Vus sous cet angle, les munitions et les petits pains sont des produits de même nature. Une fois lancé, un missile à tête nucléaire n’est pas réutilisable. C’est pour cette raison que l’industrie aime tellement les armes. » (p. 69-70).
Je l’ai découvert par l’inconséquent Jean-Pierre Dupuy, qui s’interdit de penser certaines choses sur ce même empire qui l’abrite et le nourrit, en particulier à propos du 11 Septembre, ce que j’appelle « la marque de l’interdit », parodiant son livre La Marque du sacré : là encore, cela rentre dans le cadre d’un phénomène décrit par Günther Anders, la supraliminarité : « le mot de « supraliminarité » n’a pas encore été adopté comme les autres par les médias ni donc par la langue. J’appelle « supraliminaires" les événements et les actions qui sont trop grands pour être encore conçus par l’homme » (p. 71) ; et à propos du 11 Septembre, Dupuy est aussi inconséquent par rapport à un autre de ses maîtres, René Girard, à propos de la fabrication de boucs émissaires, comme il l’est en économie en éludant que son professeur Maurice Allais dénonçait comme « faux-monnayeurs » les banquiers créateurs de monnaie avec intérêts.