Le Projet Venus ne repose sur aucun des présupposés actuels quant à la gestion de la cité (c’est-à-dire la « politique » au sens étymologique du terme) et notamment la notion de « gouvernement » : nous n’aurions plus du tout besoin d’un gouvernement du fait que les besoins de tous seraient rencontrés grâce à l’économie basée sur le partage équitable des ressources. Il reste cependant, précisément, la nécessité de pouvoir répondre aux besoins de tous, c’est-à-dire gérer les ressources, leur transformation et leur distribution. Roxane Meadows précise bien, dans le film « Paradise or Oblivion », que ce modèle de société ne fonctionnerait pas en cas de pénurie de ressources.
Cette tâche, essentielle, ne nécessiterait-elle pas une forme de gouvernement ? Car le fait même d’avoir un quelconque degré de responsabilité dans cette tâche implique d’avoir un pouvoir sur les citoyens, puisque ceux-ci dépendent de ce circuit d’exploitation, transformation et distribution des ressources.
Même dans une économie sans monnaie, certaines tendances égotiques peuvent se développer. Bien que je sois en accord avec l’analyse générale que l’économie basée sur la monnaie soit l’une des causes majeures des perversions de nos sociétés « modernes », même si je partage l’avis qu’il n’y a pas de « nature humaine » (sinon le principe d’adaptation à l’environnement), je crois que les perversions que l’on peut observer en l’homme ont aussi d’autres causes.
Dès lors, ne devrions-nous pas considérer nécessaire d’avoir une institution (la Constitution Citoyenne) qui nous garantisse contre les abus de pouvoir ? Gérer la monnaie (qui permet d’accaparer terres et ressources par le biais de la propriété) n’est-il pas équivalent (en termes de responsabilités, donc de pouvoir) à gérer les ressources, puisque précisément les vrais richesses sont les ressources ?
C’est en vertu de ces questions (auxquelles je n’ai pas de réponse définitive) que je m’intéresse notamment aux idées émises pas Bernard Friot sur le principe de propriété d’usage qui à mon avis, se combinerait assez bien avec les principes du Projet Venus. Même si à termes, lorsque la culture aura intégré le nouveau paradigme, la notion de propriété pourrait devenir obsolète.
Si j’ai bien compris, le Projet Venus propose que la gestion des ressources soit entièrement automatisée par la cybernétique de la meilleure manière possible pour répondre au besoin de chacun. Je ne connais pas les détails du fonctionnement cybernétique, même si j’en comprends globalement les principes élémentaires. Ce que je sais, c’est que Jacque Fresco évalue à 3% la proportion de personnes actives nécessaires au bon fonctionnement de l’ensemble du système (au stade actuel de la technologie). Ce qui signifie tout de même un contrôle humain du système (je peux me tromper du fait de ma méconnaissance de ce système).
D’où mon questionnement sur la nécessité d’une forme de gouvernement et donc de contrôle citoyen.
Tel que présenté dans le Projet Venus, je ne comprends pas bien cette notion d’absence de gouvernement (et je ne suis pas le seul). Je suppose en tout cas que d’un point de vue social, Jacque Fresco compte entièrement sur la vertu de l’économie basée sur le partage des ressources pour régler « naturellement » la plupart des problèmes (violence, insécurité, pauvreté, criminalité, déviances, etc.). Je suis cependant d’avis que ce ne sera pas aussi facile, pas aussi simple. Mais je reconnais que je ne possède pas assez de connaissances pour pouvoir trancher cette question.
En tout état de cause, je me dis que je ne peux pas évacuer cette question, mais au contraire il m’apparait indispensable de l’approfondir. Notamment en ayant des informations plus pointues sur le système cybernétique. Il ne s’agit pas de défendre la notion même de gouvernement (fondamentalement, j’y suis opposé), mais de garantir que le système n’induit aucune forme d’abus de pouvoir à un quelconque degré de l’architecture du système.
Il est certain que ce projet présente un tel changement de paradigme qu’il n’est pas facile à comprendre. Nous sommes tellement conditionnés à concevoir l’organisation sociale selon des principes hiérarchiques que nous entrevoyons mal d’autres formes d’organisations sociales. Même les plus progressistes ont du mal. Je garde en mémoire les interrogations d’Étienne Chouard lorsque je lui ai expliqué, brièvement, que le Projet Venus fonctionnait sans gouvernement. Tout comme moi, sa première impression était la stupéfaction et le scepticisme : « Comment cela peut-il fonctionner sans gouvernement et sans loi ? ».
Même en ayant bien compris l’argument de Jacque Fresco concernant les lois (à savoir qu’une loi n’est jamais une solution à un problème, mais l’expression de notre impuissance à résoudre un problème), même en étant anarchiste dans l’âme et réfractaire aux lois, j’ai moi-même du mal a extirper de mon esprit ces notions (imaginez donc dans la tête d’un juriste ... ).
Cela étant dit, je comprends de mieux en mieux ce que Jacque Fresco veut dire en évoquant la mise en pratique, dans l’organisation sociale, de la méthode scientifique, et je commence à saisir le lien entre [lois versus méthode scientifique]. Mais ce n’est pas évident au premier abord.
Il y a donc un gros travail à réaliser pour, d’une part, appréhender les éléments clefs de ce nouveau paradigme d’organisation sociale non fondé sur un système hiérarchique vertical, mais sur une stricte égalité, un principe horizontal, et d’autre part, parvenir à l’expliquer et en décrire le fonctionnement de façon claire et compréhensible pour tous. Les changements de paradigme sont les évolutions les plus difficiles qui soient à faire.
J’ajoute que Jacque Fresco nous recommande bien de ne pas être « poli » avec lui, et de ne pas hésiter à insister s’il n’a pas répondu à notre questionnement. En l’occurrence, je n’ai pas (encore) trouvé, dans ses différentes interventions, la réponse à cette question. Donc je creuse (quitte à me faire l’avocat du diable).
Tel quel, j’ai l’impression que Jacque Fresco considère que le système, une fois mis en place, induirait par lui-même la vertu de tous les acteurs participant au système. Et je ne peux m’empêcher d’entendre une voix me susurrer à l’oreille « Absence de gouvernail, comment est-ce possible ? Il faudrait que les hommes soient matures et ils ne le sont pas. Pour la plupart, ils sont totalement immatures. Alors, il faudrait qu’on m’explique COMMENT c’est possible. La vertu ne tombe pas du ciel, il faut la faire advenir. N’est-ce pas être de doux rêveurs que de penser qu’elle s’installera de son propre chef ? ».
Amicalement,
Morpheus
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