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Commentaire de Éric Guéguen

sur Lettre ouverte à Jamel Debbouze


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Éric Guéguen Éric Guéguen 22 juin 2013 19:44

Rappel intéressant :

Le soir du 1er janvier 2000, Jamel Debbouze était impliqué dans une altercation avec les forces de l’ordre devant le Palais Omnisport de Paris-Bercy. Au volant d’un 4x4, le comédien aurait refusé de laisser passer le convoi d’une CRS en intervention. Quelques mots malheureux des deux côtés, les esprits s’échauffaient et Jamel Debbouze, handicapé, se retrouvait à terre. Nadia Mourine, son assistante, profitait du moment où un policier se penchait vers le comédien pour prendre une photo. Les raisons de l’échauffourée demeurent sibyllines et les témoignages divergent. Jamel, dont c’était la deuxième empoignade en quelques jours après une course-poursuite avec un autre automobiliste, passera quarante-huit heures en observation médicale.

La fameuse photo va ensuite faire le tour des médias par le biais de l’AFP. Sans même connaître les tenants et aboutissants de cette sombre histoire, l’establishment médiatique va s’emparer de l’ « affaire » pour épingler les exactions policières dans le pays des Droits de l’Homme. Le lendemain soir, dans l’émission « Nulle part ailleurs » sur Canal+, Nagui et son invitée du jour, Juliette Gréco, l’égérie des belles années à Saint-Germain-des-Prés, s’indigneront et décèleront de concert en cet acte infâme un « retour aux années les plus sombres de notre Histoire ». Le mot est lâché, le public applaudit : à bas l’Etat policier !
Cependant, le lendemain des évènements, Khalid El Quandili, ancien champion du monde de kick boxing, ami de Jamel, va tenter de lui rendre visite à l’hôpital. « Tenter » car il sera sèchement reçu par l’assistante de l’humoriste et molesté par ses gardes du corps. Après intervention des membres du service hospitalier, Khalid El Quandili, mordu au visage, s’en sortira avec un arrêt de travail et s’empressera d’aller déposer plainte. Le 8 janvier chez Thierry Ardisson, il avouera lui-même que Jamel est bien mal entouré. Dans les jours qui suivront, l’affaire va soigneusement être étouffée. On apprendra dans la foulée que les molosses du comique n’en étaient pas à leur premier excès de zèle. Ainsi l’on n’entendra beaucoup moins parler de Jamel Debbouze pendant quelques mois, le temps que les esprits se calment et que la polémique se dissipe. L’année suivante, le comédien reparaîtra sur le devant de la scène lors d’une tournée à l’Olympia, une apparition dans « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » et l’interprétation d’un rôle sur-mesure dans « Astérix et Obélix – Mission Cléopâtre », le film de tous les records, grâce à Alain Chabat, complice de toujours.

Aujourd’hui, il est quasiment impossible de connaître le fin mot de l’histoire dont les journaux ont cru bon, à l’époque, de faire leurs choux gras. Tout le monde semble même l’avoir oubliée. Pourtant ce fait divers a paru suffisamment important pour devenir quelque temps plus tard le sujet de l’épreuve de français au General Certificate of Education, le baccalauréat britannique. A en croire les médias, Jamel, lui, qui a perdu en 2000 un procès intenté aux policiers incriminés, concède que son entourage n’était pas forcément le plus sain qui soit.

En définitive, comment interpréter le fait que le soufflé soit retombé aussi vite qu’il n’était monté ? De deux manières. Soit nous vivons actuellement sous la coupe de l’Etat policier le plus centralisé, répressif et omniprésent qui soit, à faire pâlir de jalousie Fouché, Himmler et Beria réunis tant il semble difficile de dissimuler une bavure impliquant directement la coqueluche de toute une génération, l’une des mascottes médiatiques du tout-Paris. Soit des proches peu scrupuleux se sont servis de Jamel, majeur et vacciné au moment des faits, avec ou sans consentement de sa part, pour faire d’une telle anecdote une machination victimaire, certains qu’ils étaient d’être totalement appuyés par un fort matraquage médiatique. En tout état de cause, aucun des mandarins du show-biz que l’humoriste côtoie en privé ne s’est indigné par la suite de l’injustice et du racisme dont il semblait avoir été victime de prime abord. Comme on l’a vu au fil des pages précédentes, certains ont pourtant la langue bien pendue. Bien qu’il soit tout à fait incontestable de vouloir blâmer les vexations dont peuvent être l’objet certaines minorités de la part des forces de l’ordre, s’il s’avérait que Jamel et son entourage avaient agi de manière perfide, en cherchant à provoquer volontairement le trauma « Glen – Rodney – King », ni l’auteur ni la cause n’en seraient sortis magnifiés. Plus récemment, souhaitons que la championne d’athlétisme Eunice Barber en ait été bien consciente également, et que le dénouement la concernant, quel qu’il soit, soit claironné aussi fort que les prémices de l’intrigue.

Du point de vue médiatique, ce qui ressort d’une telle confusion, qu’on le veuille ou non, est avant tout le rôle captivant que Jamel s’est vu confier ces dernières années. Attendu que le comédien est adulé par une jeunesse impulsive, à la fois spectatrice et vectrice de l’image d’une France pluriethnique qui se porte bien et va de l’avant, les médias complaisants lui ont attribué la lourde position d’icône, d’exemple à suivre. L’enfant chétif et handicapé des Yvelines, tantôt jovial, tantôt jocrisse, a gagné sa place au soleil par un travail acharné, lui-même gage d’une parfaite inclusion sociale. Mais là encore, Jamel n’est qu’un pion sur l’échiquier des Tartuffe : se démener, nous disent-ils, c’est s’insérer, s’insérer c’est réussir, et réussir c’est parader au volant d’une Ferrari dans les rues de Trappes le samedi après-midi. La boucle est bouclée mais l’opulence affichée et quasi-exclusive de Jamel est un cadeau empoisonné supplémentaire fait aux milliers de reclus des banlieues. Comme déjà dit, leur laisser croire que toute réussite ne peut être que financière et ostensible, que l’argent seul est solution de tous leurs problèmes est un dangereux non-sens. Le ressentiment et le culte de l’argent facile y puisent leurs racines profondes. Toutefois, le talent du comédien n’entre nullement en ligne de compte. Mais que l’on apprécie ou pas ses sketches, ses films et ses interventions, que l’on cautionne ou non ses différents engagements polémiques ou associatifs, force est de constater que Jamel Debbouze est devenu aujourd’hui un parangon victorieux de la lutte des classes, la star fétiche justifiant tous les combats, et à ce titre indéboulonnable.


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