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Extrait de l’introduction
« Ne renoncez pas à chercher la
vérité, essayez de toujours distinguer le savoir honnête de la
falsification des faits par la propagande [...]. Essayez de rester des
hommes libres, responsables, aspirant à un savoir intègre et profond
[...]. Recherchez les voies qui vous mèneront à un savoir non falsifié.
Discutez, nouez des contacts avec des gens qui vous aideront à chercher
la vérité, pensez... »
De quelle manière l’enseignement de
l’histoire forme-t-il les générations de demain ? Quelle influence notre
connaissance de l’histoire a-t-elle sur notre manière de voir le monde ?
Et réciproquement, en quoi notre regard sur les questions
contemporaines nous fait-il voir les faits historiques d’une manière qui
nous est propre ? Telles sont les questions qui sont à l’origine de cet
ouvrage.
Mais une interrogation les précède toutes : comment
enseigne-t-on l’histoire actuellement ? En se plongeant dans les manuels
scolaires, on peut s’en faire une idée assez juste. Ces livres sont en
effet rédigés par des enseignants et, surtout, choisis collectivement
par les équipes de professeurs d’histoire-géographie de chaque lycée ou
collège. On y trouve donc une approche moyenne des idées et des
documents utilisés pour enseigner l’histoire.
Les manuels ont tous
été renouvelés entre 2009 et 2012. On y repère une méthode largement
utilisée : ils utilisent souvent un choix d’exemples orientés par le
souci de faire découvrir des valeurs dominantes aujourd’hui. Il ne
s’agit pas d’une volonté délibérée, mais de l’influence indirecte de ces
valeurs sur les rédacteurs de manuels.
Ainsi, un manuel de sixième
peut utiliser le XIXe siècle avant Jésus-Christ pour faire passer un
message aux enfants d’aujourd’hui. Il leur propose de lire un extrait du
recueil de lois promulgué par Shulgi, roi d’Ur de 2094 à 2047 avant
J.-C. Ce texte déclare que « si quelqu’un a commis un meurtre, on mettra
cet homme à mort ». Le manuel demande ensuite aux élèves : « Qui a fait
ces lois ? À quelle époque ? Montrez leur sévérité. » En comparant
l’ensemble des six principaux manuels de sixième publiés en 2009, on
constate que plusieurs documents condamnent eux aussi la peine de mort.
Au détour d’une double page sur le débat démocratique à Athènes au Ve
siècle av. J.-C., on peut lire que « la peine de mort n’empêche aucun
crime ». Dans l’étude du royaume bouddhiste indien des Gupta au Ve siècle
de notre ère, il est précisé que « le roi gouverne sans trancher des
têtes ni recourir aux châtiments corporels ».
Rien n’est faux, ces
documents existent, mais les questions posées, le nombre de documents
choisis, l’insistance sur tel ou tel argument finissent par fabriquer
une opinion au lieu d’aboutir à une description juste de la réalité du
passé. Ces petits passages introduisent en effet les arguments du débat
contemporain contre la peine de mort, mais sans préciser que ces idées
étaient très minoritaires avant notre époque.
Cette tendance assez
généralisée des nouveaux manuels d’histoire à se mettre à la recherche
des fondements du monde contemporain plutôt que de ce qu’on peut
connaître du passé pose la question de ce que les élèves et les anciens
élèves de nos classes vont retenir de l’enseignement de l’histoire. Avec
ces pratiques, ils risquent en tout cas d’avoir du mal à comprendre et à
accepter des idées et des manières de penser différentes de celles
qu’ils auront reçues.
Un mot de l’auteur
Où est passée Jeanne d’Arc ? Perdue en chemin, elle n’apparaît
pas dans les nouveaux manuels d’histoire de classe de seconde lors
qu’ils parlent du Moyen Age. J’ai écrit L’histoire fabriquée - pour
retrouver la trace de ce qu’on oublie généralement de dire en cours
d’histoire.
Retrouver les héros du temps passé, mais aussi tous
ceux qui ont utilisé toute leur énergie et tout leur sens de la
solidarité pour changer l’histoire.
Vincent Badré"
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Source, le livre : l’ Histoire fabriquée : ce que l’ on en vous enseigne pas à l’ école.
C ’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ ai choisi d’ enseigner moi-même à mes enfants.Le plus important ne s ’apprend pas sur les bancs de l’ école, pièce essentielle au formatage de la pensée.