Celui-ci, plus récent, est un extrait de l’article d’Isabelle Debergue paru il y a une semaine :
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=19084
Pour une commission d’enquête sur l’apparence d’impartialité de la Justice française
Outreau et le rapport de la commission d’enquête parlementaire, ainsi que les auditions effectuées par cette commission, avaient occupé une place importante dans les médias et dans les débats publics. Mais maintenant qu’il s’agirait de traduire dans des mesures concrètes les conséquences de ces débats et constatations, une discrétion générale règne. Peu de dépêches et de déclarations sur les deux lois en cours d’adoption (formation et responsabilité des magistrats, équilibre de la procédure pénale). La campagne présidentielle n’évoque guère la réforme de la Justice. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur ces lois qui ont déjà déçu des acquittés d’Outreau et introduisent de surcroît des dispositions inattendues à l’insu de la grande majorité des citoyens. Mais un autre aspect essentiel apparaît de plus en plus clairement : la question fondamentale de l’apparence d’impartialité de la Justice est systématiquement ignorée. Insuffisamment abordé par la commission d’enquête sur Outreau, ce point central des déclarations et conventions sur les droits et libertés fondamentaux nécessiterait une enquête spécifique par une nouvelle commission.
(...)
L’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales prescrit notamment : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle... » , et l’article 13 sur le droit à un recours effectif ajoute : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. » Les justiciables ont donc le droit à des garanties réelles d’impartialité de la Justice et à des voies de recours permettant d’obtenir la rectification des écarts par rapport à ce droit fondamental.
(...)
Mais il paraît évident que, dans la pratique, le justiciable n’a aucune chance d’accéder à des informations lui permettant d’exercer vraiment son droit de récusation tel qu’il est défini par le Code de l’organisation judiciaire. Il pourra, tout au plus, connaître une petite partie des réponses aux questions que soulèvent de droit, pour chaque affaire, les huit points de l’article L731-1 précité. Au lieu d’un véritable droit, le justiciable se trouve confronté à du « si jamais vous apprenez que... vous pouvez... » Pas de quoi aller très loin, à de rares exceptions près. Une situation très inégalitaire, de surcroît. Car il paraît évident que ce sont les personnes riches et influentes qui disposent des meilleurs moyens pour se renseigner sur les magistrats et les experts et pour trouver des avocats prêts à les récuser.
Précisément, l’affaire d’Outreau a mis en évidence les limites de l’actuel dispositif légal et réglementaire en la matière. Dans mon article du 28 août, j’avais évoqué la récusation tardive (en juin 2004, trois ans après sa désignation), de l’experte Marie-Christine Gryson, dont le rôle et l’apparence d’impartialité ont été mis en cause lors des audiences de première instance. A cette époque, plusieurs innoncents avaient déjà subi une trentaine de mois de détention provisoire. On peut lire à ce sujet dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire : « Mme Marie-Christine Gryson-Dejehansart, à laquelle avait été confiée la réalisation des expertises psychologiques de seize mineurs, a été récusée [en juin 2004] pendant le procès d’assises de Saint-Omer après la remise en cause de son impartialité par plusieurs avocats. Il s’est avéré que Mme Gryson-Dejehansart était, depuis 2000, présidente de l’association Balise la vie, association ayant pour objet « de prendre en charge les enfants une fois que le processus judiciaire est terminé ». Cette association était subventionnée par le département du Pas-de-Calais, qui par ailleurs était partie civile au procès dans lequel Mme Gryson-Dejehansart intervenait comme expert... (...) En tout état de cause, il revenait à Mme Marie-Christine Gryson-Dejehansart de renoncer à cette mission. » Peut-on vraiment se satisfaire de cette conclusion, alors qu’aucun contrôle d’office ne semble avoir fonctionné ?
Quant à la juridiction administrative, la loi 86-14 du 6 janvier 1986 avait prévu des critères d’incompatibilité pour les membres des tribunaux, qui correspondent aux articles L231-5 et L231-6 de l’actuel Code de Justice administrative, prescrivant que : « Nul ne peut être nommé membre d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel s’il exerce ou a exercé depuis moins de trois ans dans le ressort de ce tribunal ou de cette cour : 1. Une fonction publique élective ; néanmoins un représentant français au Parlement européen peut être nommé membre d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel à l’issue de son mandat ; 2. Une fonction de représentant de l’Etat dans une région, ou de représentant de l’Etat dans un département, ou de délégué de celui-ci dans un arrondissement, ou de directeur régional ou départemental d’une administration publique de l’Etat ; 3. Une fonction de direction dans l’administration d’une collectivité territoriale » et que : « Nul ne peut être nommé membre d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel s’il a exercé dans le ressort de ce tribunal ou de cette cour depuis moins de cinq ans la profession d’avocat. » Mais ces dispositions, qui datent d’il y a plus de vingt ans, paraissent à présent très insuffisantes et ne permettent pas d’empêcher une profonde osmose entre tribunaux et administrations. L’absence totale de séparation de carrières, au sein du Conseil d’Etat, entre les cabinets ministériels ou la direction de grandes administrations d’une part, et la Section du contentieux de l’autre, en fournit un exemple frappant qui est loin d’être le seul. De mon modeste point de vue, les risques actuels de confusion d’intérêts dépassent de loin les prévisions du législateur de l’époque, qu’il s’agisse du Conseil d’Etat, des tribunaux administratifs ou des cours administratives d’appel.
Pour l’accès aux fonctions de juge administratif, le Code en vigueur, dans son article L233-4 basé sur la même loi de 1986, accorde une place particulière aux « professeurs et maîtres de conférences titulaires des universités ». De même un nombre significatif de magistrats, surtout au sommet des juridictions exerce-t-il en même temps des fonctions dans l’enseignement supérieur (notamment, de professeur associé aux universités). Pas seulement dans la juridiction administrative, d’ailleurs. Or, au cours des deux dernières décennies, les universités et les organismes de recherche se sont trouvés impliqués dans un nombre croissant de contentieux dont les OGM et l’amiante fournissent des illustrations particulièrement médiatisées, jusqu’à la mise en examen de trois prestigieuses institutions dans l’affaire de l’amiante de Jussieu. La situation très précaire de doctorants et jeunes chercheurs a également apporté un certain nombre de litiges. On voit, malgré cela, des magistrats qui sont en même temps des professeurs associés rémunérés à ce titre par le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, intervenir dans le jugement de contentieux de ce ministère et des établissements qui en dépendent. Cette situation paraît manifestement anachronique, et la relation pourrait être bien plus longue. Pas seulement pour la Justice proprement dite, mais aussi pour le contexte global dans lequel elle est gouvernée, gérée, évaluée... et dans lequel sont préparées les dispositions qui la régissent.
C’est pourquoi il me semblerait pertinent qu’une commission d’enquête parlementaire soit mise en place, consacrée spécifiquement à la question de l’apparence d’impartialité de la Justice française et des institutions qui l’entourent, ainsi qu’aux garanties réelles de cette impartialité. Mais, pour ne pas en arriver à une impasse, comme cela s’est produit après le rapport parlementaire sur Outreau, une participation citoyenne beaucoup plus conséquente, ouverte et permanente paraît indispensable.
10/08 02:48 - parayre
Bravo : qui peut croire en effet à cette histoire sinon effectivement des magistrats jaloux ou (...)
11/03 16:24 - Odin
Une réelle régulation ? Empêcher les réseaux ? Ce pour TOUS les fonctionnaires ! = Les (...)
01/03 19:48 - Eccoli qua
http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2007/2007551/2007551dc.htm Décision n° 2007-551 (...)
01/03 19:25 - Eccoli qua
Isabelle Debergue et De ço qui calt ? avaient bien raison de signaler que rien n’était (...)
28/02 20:08 - DrQ
Voir aussi cet article d’hier qui semble rencontrer quelques problèmes techniques avec (...)
27/02 01:06 - Isabelle Debergue
J’écris « aujourd’hui », car l’article vient de paraître sur Agoravox à (...)
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