Régulièrement, on voit fleurir, dans les commentaires ici ou ailleurs, une
délicieuse référence à la fameuse Loi Giscard-Pompidou de 1973 (ref : Loi n°73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France), qui interdirait
à l’Etat de se financer sans intérêt, et qui serait directement responsable de
son endettement total (ou pas loin). Et régulièrement, on indique en support à
ces assertions les travaux de doctes économistes improvisés et autres vidéos
palpitantes expliquant par le menu pourquoi l’Etat s’est vendu aux marchés et
comment tout ceci est très méchant.
Pour le détail sur cette loi et les graphiques fantaisistes représentant la
part d’intérêts dans les dettes de l’état français, je vous reporte à l’article du
Parisien. L’article y décrit la loi, qui dit en substance :
« Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à
l’escompte de la Banque de France. »
Il
fournit également quelques éléments de réflexions, qui ne semblent pas
effleurer les tenants de la théorie quasi-conspirationniste de l’Etat
vendant
sa monnaie aux intérêts privés : pour ces derniers, avec une telle loi,
l’Etat
a abdiqué sa souveraineté et ne peut plus battre monnaie comme bon lui
semble.
Pire, il doit s’acquitter en plus d’un montant de plus en plus énorme
d’intérêts créés de toute pièce par le méchant système bancaire.
L’une des vidéos en vogue sur le sujet (et que vous trouverez sans
problème) relate correctement le mécanisme de réserve fractionnaire et la
création monétaire par les banques commerciales, sans cependant détailler
pourquoi ce système existe, pourquoi il fonctionne ainsi et quel rôle l’état a
eu pour en arriver exactement à ça. C’est assez dommage, du reste, la
démonstration gagnerait un angle intéressant si ce « petit » détail
n’avait été omis. On y apprendrait par exemple le rôle primordial — démesuré,
même — de l’état dans la façon dont fonctionnent les banques. Le code bancaire,
maquis touffu et particulièrement complexe, est à lui seul la preuve (notamment
par l’accroissement rocambolesque de sa taille pendant les trente dernières
années) que le premier acteur dans le domaine bancaire est et reste l’état,
tout puissant pour décider comment sa monnaie sera utilisée.
A ce sujet, la fumeuse vidéo n’évoque en rien l’aspect totalement
monopolistique de la monnaie étatique : certes, les banques commerciales
produisent une partie de la monnaie scripturale, mais force est de constater
que c’est sous l’œil parfaitement politique des états qui en décident
unilatéralement la dénomination et la force, par une pure politique monétariste.
En effet, avant 1973, la capacité de création monétaire de l’Etat était
limitée par les accords de Bretton Woods, c’est-à-dire par le dollar américain,
lui-même convertible en or. La fameuse loi de 1973 a été mise en place juste
avant l’effondrement du système pour éviter, justement, que nos joyeux
gouvernements n’usent et n’abusent de la planche à billet…
Évidemment, abroger la loi de 1973 ne redonnerait à l’Etat qu’une seule
capacité : celle de faire exploser l’inflation comme bon lui semble, ce qui n’a jamais constitué
une source de richesse. Dévaluer une monnaie (= en diminuer la qualité) n’a
jamais provoqué autre chose, à moyen ou long terme, que la ruine des
épargnants.
Ce que les tenants de la belle théorie exposée dans ces vidéos et dans ces
graphiques ne comprennent pas, c’est que les monnaies fiat qui existent
actuellement ne reposent que sur une unique valeur : la confiance qu’on
leur donne. Lorsque les états ont, progressivement, décidé d’abandonner
ouvertement la possibilité d’imprimer des billets de Monopoly, ils l’ont fait
en échange de la confiance dans leur monnaie.
C’est exactement ce que traduisent les taux d’intérêts des
banques privées lors des emprunts contractés par ces états.
Autrement dit, les états ont décidé de
passer par le marché essentiellement pour augmenter la confiance des prêteurs
dans leur monnaie. Et c’était indispensable : moins une monnaie inspire
confiance, plus l’ensemble de l’économie qui l’utilise peine a générer de la
richesse, chaque échange étant alors entaché d’une prime de risque de plus en
plus grande (ça se traduit par une monnaie faible, fluctuante sur les marchés
des devises, par des taux d’intérêts élevés pour les états et les entreprises,
et par une inflation importante).
L’inflation importante provoque une baisse de l’épargne, baisse qui se
traduit directement par un manque à gagner en capital dans les entreprises. Ce
manque de capital finit tôt ou tard par se traduire par des pertes d’emplois,
des délocalisations, une baisse d’innovations et une fuite des cerveaux. Si
cela vous rappelle quelque chose, c’est normal.
Dans ces vidéos et autres articles, on ne parle du reste jamais de
l’éléphant dans le salon. Pourtant, il fait de joyeuses claquettes et se résume
à deux questions :
-
a/ qui, exactement, choisit de faire de la dette ?
-
b/ qui, exactement, prête les sommes dont l’état a besoin ?
Là encore, c’est furieusement dommage de ne pas aborder les réponses à ces
deux questions parce qu’elles éclairent d’un jour limpide ce qui se passe sous
nos petits yeux ébahis.