Pour des raisons que je m’explique mal - appelons cela de l’intuition expériencielle -, je ne vois pas du tout les choses comme vous.
A mon avis, l’avis du Conseil constitutionnel et la signature (probable) de Chirac* mettent un terme définitif à l’affaire CPE. Et je ne partage aucun des points de votre analyse. Vous écrivez : « Des entreprises, très vite, en proposeront à des jeunes à la recherche d’un emploi. » J’ajouterai, pour ma part que de très nombreux jeunes les accepteront. Ce qui aura pour effet de désamorcer définitivement la contestation, en la privant de réelle légitimité.
« Le premier changement est là. Il en induit un second, pour les syndicats, les partis de gauche, les manifestants. Jusqu’ici, leurs actions avaient un débouché potentiel : le retrait du texte, l’appel au président de la République. Une fois ce texte entré dans l’ordre juridique, la demande change de nature. »
Alors que moi, je pense qu’il n’y a plus de demande soutenable.
« La rue souhaite qu’une loi votée par le Parlement, déclarée constitutionnelle par le Conseil constitutionnel, promulguée par le président de la République, soit retirée de l’ordre juridique. »
La rue est quelque chose de très fluctuant, qui n’a pas vocation à s’inscrire dans la durée.
« Ceci rend très difficile la poursuite de l’action pour les syndicats. Ils appellent à manifester mardi. Soit. Il y aura du monde. »
Ce n’est pas sûr du tout. La protestation s’est soldée par un bide, le soufflé est en train de tomber. Et même s’il y a du monde, la plupart des manifestants seront d’ores et déjà résignés.
« Mais après ? Encore une nouvelle journée de manifestations, et encore, et encore... »
Non. Après, plus rien !
« Que restera-t-il, le moment venu, du CPE dans la mémoire des électeurs ? »
Rien !
« Dans quelle mesure et de quelle manière leur vote en sera-t-il influencé ? »
Dans aucune mesure et en aucune manière. En actualité plus qu’en tout autre domaine, un clou chasse l’autre avec une fancilité et une rapidité déconcertantes...
« Ponctuellement, immédiatement, et sans négliger une impopularité sans doute durable, le Premier ministre peut considérer qu’il a gagné la partie. »
C’est que la partie est terminée. Les supporters peuvent encore se colleter autour du stade, le score ne changera pas.
« Mi-janvier, il annonçait son projet de CPE. Fin mars, le projet est devenu réalité. L’objectif de Dominique de Villepin est double désormais. D’abord, enregistrer la signature du plus grand nombre de contrats première embauche possible. Ensuite, rétablir au plus vite l’ordre dans la société... »
L’ordre est d’ores et déjà rétabli, faute de désordonneurs.
« ...effacer et réduire les traces de la contestation. »
Ce n’est plus, désormais, qu’un travail de peintres et de vitriers.
« ...permettre aux étudiants qui le veulent de passer leurs examens. Pour tout cela, Dominique de Villepin a besoin de l’action résolue et décidée du ministre de l’Intérieur. »
Il n’y a besoin de personne ni d’aucune action pour entretenir une sérénité en voie de rétablissement spontané.
Je pense que notre différence de perception tient au fait que vous voyez des troupes résolues et disciplinées, là où je ne distingue que des militants syndicalistes déboussolés et des gamins superficiels.
Maintenant, il ne nous reste plus qu’à attendre la fin de la semaine prochaine, pour voir à qui de nous deux, les faits auront donné raison. Le niveau de participation aux manifs de mardi ne fournira, le cas échéant, qu’une indication à confirmer. Ou à infirmer...
* A moins que le vélléitaire du faubourg Saint-Honoré, avec cette abscense totale de vista politique qui n’est pas son moindre charme, ne se dégonfle in extremis. Eventuellement, pour se rendre à une autre de ces dévastatrices injonctions dont Mlle Fille semble avoir le secret...