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Commentaire de Deinonicus

sur Vous n'oubliez pas la justice ?


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Deinonicus (---.---.153.54) 23 février 2007 13:06

Voir, sur Agoravox, l’article de De ço qui calt ? :

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=13976

Outreau, le monde politique et la mort d’un enseignant

Encore à ce jour, et malgré les nombreux signes d’une crise institutionnelle globale, la catastrophe d’Outreau reste en général présentée comme un problème sectoriel de la Justice et du comportement des médias. Est-ce vraiment crédible ? S’il s’agit d’évoquer les dérives de la lutte contre la pédophilie, force est de constater que dès 1997, des dirigeants politiques ont joué un rôle important dans la médiatisation de ce type d’affaires, et pris ou encouragé des mesures qui ont conduit à des incidents graves. Les experts ont également contribué à la propagation de préjugés qui, avec le recul, apparaissent peu rigoureux. Quant au fonctionnement de plus en plus expéditif et sommaire de la Justice, c’est tout sauf une évolution spontanée isolée. Bien au contraire, il découle directement de dispositions émanant des pouvoirs législatif et exécutif élus par les citoyens, et dont ces derniers finissent invariablement par se montrer déçus.

(...)

A de rares exceptions près, l’affaire d’Outreau est systématiquement abordée sous l’angle étroit du fonctionnement de la justice pénale, et la discussion en reste là. On nous dit que le contraire reviendrait à « tout mélanger ». Pourtant, la campagne médiatique que dénonce à juste titre le rapport de la Commission parlementaire avait été précédée d’autres campagnes politico-médiatiques sur des sujets analogues, dont a « résulté » entre autres le suicide, le 10 juin 1997, d’un innocent : Bernard Hanse, professeur d’éducation physique et sportive au collège de Montmirail (Marne). Un sinistre événement, susceptible en principe de mettre en cause le fonctionnement d’une administration et d’un ministère, sans que la justice pénale ait été impliquée.

L’article 40 du Code de procédure pénale prescrit : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Il s’agit d’avoir acquis la « connaissance » du crime ou du délit, et pas simplement d’entendre une version des faits sans preuve et qui peut être subjective. Mais le 14 mai 1997, dans un article intitulé « Pédophilie : un autre instituteur mis en examen », le quotidien l’Humanité rapportait notamment une déclaration du ministre de l’Education nationale, François Bayrou, insistant sur la nécessité de « saisir la justice » en cas de soupçons envers un enseignant : « Si dans l’enquête quelqu’un est soupçonné, on suspend sa présence auprès des élèves. Et si quelqu’un est condamné, il est radié. » Que faut-il entendre par « soupçon », quel rapport avec la « connaissance » d’un crime ou d’un délit ?

En mai 1997 également, l’INHES (Institut national des hautes études de sécurité) diffusait une étude de deux experts intitulée « La pédophilie ». Le 5 juin, alors que le gouvernement de Lionel Jospin s’installait, L’Humanité commentait cet ouvrage et relevait que les auteurs appellent à « prendre toujours au sérieux la parole d’un enfant » car « les dénonciations sont très souvent vérifiées. Et, s’il y a mensonge, il reste de toute manière l’expression d’un malaise. » A cette époque, les déclarations d’experts passaient partout comme des lettres à la poste sans que personne n’ose les critiquer. Le 10 juin, Ségolène Royal, devenue ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire, effectuait d’après ses propres déclarations un « tour par téléphone des inspections académiques » afin d’entreprendre un « recensement des cas de pédophilie signalés à la justice ». Le même jour, dans la soirée, Bernard Hanse « s’est tiré une balle dans la tête, au vo­lant de sa voiture lancée sur la petite route de campagne ». Sa famille rapporte ainsi les faits :

« 2 Juin 1997. Bernard intervient sans violence auprès d’un élève de sixième âgé de treize ans qui chahute pendant l’interclasse et qui tape dans une porte. Bernard le fait sortir du gymnase. 7 Juin 1997. La famille de l’enfant informe le principal que l’enfant accuse Bernard d’un geste déplacé, il y aurait des témoins. Le principal refuse d’écouter l’élève accusateur, n’écoute pas les enfants qui auraient été témoins de l’altercation. 9 Juin 1997. Le principal informe Bernard de l’accusation dont il est l’objet. Bernard demande une confrontation avec la famille et l’élève. 10 Juin 1997. Vers 16 h 10 le principal informe Bernard que la confrontation prévue avec la famille ne se fera pas (la famille ne peut pas venir tout de suite pour un problème de voiture, mais peut venir plus tard vers 18 heures). Donc il annule la confrontation prévue. A ce moment il lui annonce que la justice est saisie, le procureur est informé. Bernard sort du collège, révèle à son épouse par téléphone l’enclenchement de la procédure judiciaire à la suite d’une accusation mensongère et il lui précise l’existence d’une lettre qui révèle la terrible machination dont il est l’objet. Puis il met fin à ses ses jours. » (fin de citation)

Quel avait été le rôle du Ministère de tutelle qui, pendant cette même journée, contactait l’ensemble des inspections académiques pour évoquer, précisément, de telles situations ? En tout état de cause, la famille Hanse a clairement déploré l’attitude de Ségolène Royal après les faits. L’élève ayant porté les accusations contre Bernand Hanse s’était retracté dès le 16 juin. Pourtant, dans sa lettre du 17 juillet 1997 rendue publique par la famille Hanse, la ministre refuse d’admettre l’existence d’une quelconque précipitation dans le fait d’avoir saisi le procureur de la République sans aucune enquête administrative réelle. Elle ajoute qu’il faut respecter la « présomption d’innocence » de l’enfant mis en examen pour dénonciation calomnieuse. Mais Bernard Hanse ne semble pas avoir eu pleinement droit aux mêmes égards, puisque sa réhabilitation publique, réclamée par sa famille, a mis longtemps à être clairement exprimée. Lorsqu’elle l’a été, après l’arrêt de la Cour d’appel de Reims du 21 juin 2002 et une question orale d’un député le 4 mars 2003, le ministre délégué à l’enseignement scolaire Xavier Darcos a évité d’admettre le moindre tort de l’administration qui, comme d’habitude, prétend n’avoir commis aucune erreur.

A-t-on déjà vu une administration ou un ministère, surtout dans le domaine académique, reconnaître des torts ? Dans France Soir du 9 juillet 1997, François Hinard, recteur de l’Académie de Reims, qui avait été en 1993-1995 directeur de l’Information scientifique et technique et des bibliothèques au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, déclarait : « Si on avait prévenu le procureur plus tôt, on aurait su plus tôt l’innocence de ce professeur, et il n’ aurait probablement pas été poussé à cette extrémité... » Plus tôt ? Dès le 10 juin, l’affaire avait été transmise au Parquet sans enquête administrative préalable, alors que la famille de l’enfant avait contacté le principal le 7 juin.

D’ailleurs, l’affaire Montmirail n’a pas empêché Claude Allègre et Ségolène Royal de signer, le 26 août 1997, une circulaire intitulée « Instruction concernant les violences sexuelles » dont voici un extrait : « La loi, sans préciser clairement ce qu’il faut entendre par connaissance des faits, impose à tout fonctionnaire de ne pratiquer aucune rétention d’information, à partir du moment où lui ont été révélées des accusations précises et circonstanciées, éventuellement étayées par un certificat médical. Ainsi, dès qu’un élève a confié à un membre de l’Education nationale des faits dont il affirme avoir été victime, il appartient à ce fonctionnaire d’aviser immédiatement et directement le procureur de la République, sous la forme écrite et transmise, si besoin est, par télécopie. » Les « accusations précises et circonstanciées » sont donc, dans une instruction ministérielle qui a précédé de quatre ans le début de l’affaire pénale d’Outreau et qui reste en vigueur, assimilées à une « connaissance des faits ». Tardivement, les organisations syndicales ont contesté cette circulaire.

(...)


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