Le rat et l’huître
Un rat, hôte d’un
champ, rat de peu de cervelle,
Des lares paternels un jour se trouva sou.
Il laisse là le
champ, le grain et la javelle,
Va courir le pays,
abandonne son trou.
Sitôt qu’il fut hors de la case :
« Que le monde,
dit-il, est grand et spacieux !
Voici les Apennins,
et voici le Caucase. »
La moindre taupinée
était mont à ses yeux.
Au bout de quelques
jours, le voyageur arrive
En un certain canton
où théthys sur la rive
Avait laissé mainte
huître : et notre rat d’abord
Crut voir, en les
voyant, des vaisseaux de haut bord.
« Certes, dit-il, mon
père était un pauvre sire !
Il n’osait voyager,
craintif au premier point.
Pour moi, j’ai déjà
vu le maritime empire :
J’ai passé les déserts,
mais nous n’y bûmes point. »
D’un certain magister
le rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs,
N’étant pas de ces
rats qui, les livres rongeants,
Se font savants jusques aux dents.
Parmi tant d’huîtres toutes closes,
Une s’était ouverte
et, bâillant au soleil,
Par un doux zéphyr réjouie,
Humait l’air,
respirait, était épanouie,
Blanche, grasse, et
d’un goût, à la voir, nompareil.
D’aussi loin que le
rat voit cette huître qui bâille :
« Qu’aperçois-je ?
dit-il, c’est quelque victuaille ;
Et si je ne me trompe
à la couleur du mets,
Je dois faire
aujourd’hui bonne chère, ou jamais. »
Là-dessus, Maître
Rat, plein de belle espérance,
Approche de l’écaille,
allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs, car l’huître tout d’un coup
Se referme : et voilà
ce que fait l’ignorance.
Cette fable
contient plus d’un enseignement :
Nous y voyons premièrement
Que ceux qui n’ont du
monde aucune expérience
Sont, aux moindres
objets, frappés d’étonnement.
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.
Jean DE LA FONTAINE
![smiley](//www.agoravox.fr/smileys/clin_d-oeil.png)