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Commentaire de Patrick FERNER

sur Bill Gates philanthrope ? Oui, mais pas trop


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Patrick FERNER 24 février 2007 16:18

@Cl4ud3

Parce que vous, à part me critiquer (ce qui est votre droit et vive la liberté d’expression sur Agoravox) vous faites quelque chose ? Plus sérieusement , vous dites « On s’en fout des intentions secrètes de Bill Gates ». Eh bien non, justement : quand on est à la tête de la plus grande fondation du monde on se doit de donner l’exemple ; il est dit à ce propos dans un des articles du L.A. Times que si la fondation Gates révisait sa politique d’investissement, ce serait un véritable séisme dans le monde de la philanthropie. Contrairement à ce que vous affirmez, le fond de l’histoire est parfaitement connu. Et c’est pire que ce que vous croyez. Pour éviter d’alourdir mon article, je n’ai pas cité les autres cas de conflit entre les buts de la fondation et ceux des entreprises dont celle-ci est actionnaire, notamment les industries pharmaceutiques qui, par leurs médicaments vendus à des prix prohibitifs barrent l’accès aux soins pour bon nombre de sidéens et font obstacle à la diffusion des médicaments génériques. Pour de plus amples détails, vous pouvez lire l’article du L.A. Times en français en cliquant sur le lien suivant :

http://www.rougemidi.org/imprimer.php3?id_article=1377

En ce qui concerne notre Bill Gates-Janus, une tête tournée du côté de la fondation, une autre du côté de Microsoft, se pose indéniablement la question du conflit d’intérêt lorsque son organisation caritative finance des distributions de matériel et de logiciels informatique : à moins de se tirer une balle dans le pied, Gates ne peut donner que du Microsoft, créant ainsi pour les populations des pays émergents une addiction à ses produits qu’il fera payer par la suite, une fois que la firme de Redmond sera implantée sur le marché à conquérir. Et ne croyez pas, comme le dit un des commentateurs, qu’il n’y a pas de marchés intéressants pour l’informatique dans les pays émergents : l’Angola, le Nigeria, l’Afrique du Sud, pour ne citer qu’eux, sont en pleine expansion économique et ont des besoins en la matière. Dans ce domaine, tout est différent chez le milliardaire sud-africain Mark Shuttleworth qui, voulant mettre l’informatique à la portée de tous, créa Ubuntu, une version simplifiée et entièrement gratuite de Linux Debian. Ne pouvant assurer à lui seul et durablement la gestion de ce projet, il le confia à sa firme, Canonical qui regroupe toute une communauté de programmeurs comme pour les autres distributions Linux. Il a créé la Shuttleworth Foundation qui est une fondation dont le but est de promouvoir l’éducation scientifique, technologique du continent africain, l’open source étant au cœur du programme. Comme vous voyez, il y a d’autres façons de mener des actions caritatives que celles du PDG de Microsoft. Votre commentaire et tous ceux qui vont dans le même sens reflètent un état d’esprit particulier à notre pays en ce qui concerne les Etats-Unis en général et Bill Gates en particulier : Si cette controverse sur ce conflit entre action caritative et pratique des affaires concernait un chef d’entreprise français, les médias se déchaîneraient ; mais dès qu’on franchit l’Atlantique, personne ne parle de cette « affaire Gates » sauf Courrier International, il en est peu pour s’indigner, les autres trouvant cela normal. En France, quand un de nos compatriotes réussit dans le monde de l’entreprise, on le critique, on le jalouse : s’il crée une fondation, on va dire que c’est pour payer moins d’impôt ; mais si c’est un Américain, on le porte au pinacle. C’est le cas pour Bill Gates qui ne manque pas chez nous de thuriféraires, tel Patrick Poivre d’Arvor qui, le recevant dans son journal de 20h lors de son dernier passage à Paris, le fit avec une obséquiosité si dégoulinante qu’il parut parodier sa marionnette des Guignols de Canal+. Reprenant à mon compte une pensée de Blaise Pascal, je dirais : « Vérité en-deçà de l’Atlantique, erreur au-delà ». Comme vous pouvez l’imaginer, je me suis penché sur cette success story et je vous accorde que Bill Gates accomplit jusqu’en 1995 une trajectoire exemplaire qu’il doit à son talent et son esprit d’entreprise. Après, les choses se gâtent : il adopte la méthode « Extend, embrace and extinguish » qui consiste à détourner, au profit de Microsoft, des standards de l’informatique pour ensuite imposer les siens, il étouffa dans l’œuf toute velléité de concurrence en menaçant les fabricants d’ordinateur de ne plus leur livrer de Windows s’ils proposaient sur leurs machines d’autres système d’exploitation comme BeOS (qui renaquit de ses cendres avec FreeBSD, en licence libre). La firme de Redmond se livre à des violations de brevet, et même tout récemment encore puisqu’elle a été condamnée par un jury fédéral de « violation de brevet » au détriment d’Alcatel à qui elle devra verser 1.52 milliards de dollars, voir :

http://fr.theinquirer.net/2007/02/23/microsoft_va_devoir_verser_15.html

En mai 1998, Microsoft est attaqué en justice par le gouvernement fédéral et plusieurs états au nom de la loi antitrust ; en 2000, le juge Jackson propose la scission de l’entreprise en deux entités distinctes, ce qui ne se fera pas, l’arrivée au pouvoir de George Bush junior mettant un terme aux poursuites (et pour cause : George Bush senior avait décerné à Bill Gates la médaille nationale de la technologie en 1992). Ces faits parmi d’autres ont été largement diffusés et commentés dans les médias américains ; ils ont considérablement dégradé l’image de Bill Gates et de sa société aux Etats-Unis, au point que l’on se demande si la Bill & Melinda Gates Foundation n’a pas été en grande partie créée pour redorer le blason terni de Gates/Microsoft, le destin de l’homme et de son entreprise étant intriqués. L’image qu’on en a chez nous correspond à celle qu’en avaient les Américains il y a plus de dix ans, de sorte quelle repose sur une mythologie qui n’a plus cours aujourd’hui comme ces étoiles qui, longtemps après leur extinction, illuminent encore le firmament.


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