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Commentaire de averoes

sur « 20% d'analphabètes à l'entrée au collège » ? réponse à JP Brighelli


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averoes 14 décembre 2013 17:36

Bonjour MdeP.

Si votre propos consiste à dénoncer une criante baisse du niveau des enseignants, notamment du primaire, bien qu’une méfiance à l’égard des généralisations relève d’un esprit de sagesse, je ne peux qu’exprimer mon assentiment à cette entreprise, arguant de mon propre témoignage, en tant que membre de cette communauté.

En effet, mon âme s’écorche chaque jour, lors de mon passage dans cette salle des maîtres, haut lieu de la vacuité des discours de mes collègues, à telle enseigne que la réduction du temps de ma présence dans cet antre de l’ineptie est devenue pour moi un réflexe de salubrité personnelle, tant l’indigence culturelle conjuguée à une certaine myopie intellectuelle s’érigent en doxa encouragée même parfois par certains formateurs. D’aucuns, parmi ces derniers, poussent l’impudence à son paroxysme en s’hérissant devant celui ou celle qui aurait tendance à s’exprimer avec emphase ou à manier des concepts plus ou moins savants dans sa rhétorique. C’est ce dont on m’a fait grief dans la rédaction de mon mémoire professionnel, en vue de ma titularisation dans le poste de professeur des écoles, avec cette remarque laconique : « Vous n’êtes ni psychologue, ni sociologue pour évoquer ces aspects dans votre mémoire. » Traduisez : « Les étudiants ayant une certaine consistance intellectuelle n’ont pas de droit de cité dans notre communauté. »

Laconique, insisté-je, car demander un argumentaire intellectuellement soutenable à ces gens revient à profaner la pâleur de leur psyché ; ils n’hésiteront pas à interpréter cette demande légitime comme une atteinte à leur pseudo intégrité morale et à leur supposée honnêteté intellectuelle. Et alors là, vous vous exposez à l’ire d’un dieu acculé devant les limites de ses prétentions et mis à nu devant ses insuffisances.

Car que disais-je dans ce mémoire ? Pour schématiser, j’évoquais une possible corrélation entre l’impact d’une réalité socio-économique et du contexte psychologique de l’élève et certaines difficultés scolaires qu’il pourrait éprouver, ce que justement vient de révéler les résultats de l’enquête PISA. Loin de moi la prétention d’être devin, mais l’évocation de ces aspects me paraissait aller de soi.

Laissez-moi vous dire pour finir que la plupart de mes collègues, et c’est un euphémisme, pour ne pas dire tous, ignoraient totalement l’existence de ce baromètre mis en place par les pays de l’OCDE pour surveiller le suivi des acquis des élèves. Là n’est pas le plus grave, mais le plus inquiétant c’est que la simple évocation de ce genre de discussion dans cet antre de l’ineptie qu’est la salle des maîtres suffit amplement pour provoquer l’ennui dans l’esprit de ces hussards de la onzième heure. C’est des dernières promotions des supermarchés, de leur lieu de vacances, du dernier tube de Patrick Bruel, de l’élection de miss France… qu’ils veulent (je devrais dire « elles ») alimenter leurs discussions.

Mais attention, que l’on ne se méprenne guère sur les interprétations de cet amère constat. Ça n’est pas parce qu’une partie du personnel, chargé de la transmission des savoirs, brille par sa médiocrité que les problèmes relatifs à l’échec scolaire trouvent leur origine uniquement dans cet état de fait. Il est, au demeurant, rare qu’un phénomène soit attribué à une cause unique, c’est souvent la conjonction de plusieurs facteurs qui en sous-tend le déterminisme. Et à cet égard, ne convient-il pas, en vue d’un diagnostic juste, d’interroger les politiques passées en matière d’urbanisme, notamment la gestion des attributions de logements pour les populations immigrées, l’attitude de certains Français autochtones enclins à prendre la poudre d’escampette des quartiers et des établissements scolaires fréquentés par les élèves issus de l’immigration, faisant ainsi le lit de la ghettoïsation et l’absence d’une mixité sociale, l’absurdité de la présence de certaines matières dans les programmes scolaires, notamment au niveau du primaire, la lourdeur de certains contenus disciplinaires, l’éducation défaillante de certains milieux, l’hégémonie de la culture de l’image véhiculée par les jeux vidéo, le réflexe soixante-huitard de certains pédagogues qui, sous couvert de mettre l’élève au centre du dispositif pédagogique, ont mis à mal la culture de l’effort… ? Bref, panser les plaies d’une société qui va mal est un « vaste chantier », comme disait De Gaulle.

Bien cordialement.


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