"La loi Gayssot, et plus récemment la commémoration placardée sur tous
les établissements scolaires du pays, ont donc pour fonction de nous
empêcher d’oublier l’Histoire du pays où nous vivons.«
Je me contenterai de citer Nietzsche sur ce sujet, étant entendu que l’auteur veut du fond et pas de nouvelle polémique sur Dieudonné (je fais au plus remarquer au sujet de »l’histoire du pays où nous vivons« que les camps et les horreurs décrites par force »documentaires« concernent bien davantage l’Allemagne et la Pologne que la France...).
»Un homme qui ne voudrait sentir les choses qu’historiquement serait
pareil à celui qu’on forcerait à s’abstenir de sommeil ou à l’animal qui
ne devrait vivre que de ruminer et de ruminer sans fin. Donc,
il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux,
comme le démontre l’animal, mais il est encore impossible de vivre sans
oubli. Ou plus simplement encore, il y a un degré d’insomnie,
de rumination, de sens, historique qui nuit au vivant et qui finit par
le détruire, qu’il s’agisse d’un homme, d’une peuple ou d’une
civilisation.«
Considérations inactuelles
»L’oubli n’est pas seulement une vis inertiae, comme le croient
les esprits superficiels ; c’est bien plutôt un pouvoir actif, une
faculté d’enrayement dans le vrai sens du mot, faculté à quoi il faut
attribuer le fait que tout ce qui nous arrive dans la vie, tout ce que
nous absorbons se présente tout aussi peu à notre conscience pendant
l’état de « digestion » (on pourrait l’appeler une absorption psychique)
que le processus multiple qui se passe dans notre corps pendant que
nous « assimilons » notre nourriture. Fermer de temps en temps les
portes et les fenêtres de la conscience ; demeurer insensibles au bruit
et à la lutte que le monde souterrain des organes à notre service livre
pour s’entraider ou s’entre-détruire ; faire silence, un peu, faire
table rase dans notre conscience pour qu’il y ait de nouveau de la place
pour les choses nouvelles, et en particulier pour les fonctions et les
fonctionnaires plus nobles, pour gouverner, pour prévoir, pour
pressentir (car notre organisme est une véritable oligarchie) voilà, je
le répète, le rôle de la faculté active d’oubli, une sorte de gardienne,
de surveillante chargée de maintenir l’ordre psychique, la
tranquillité, l’étiquette. On en conclura immédiatement que nul bonheur,
nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de
l’instant présent ne pourrait exister sans faculté d’oubli."
Généalogie de la morale