Brieli du 67, savoureux à lire, mais qui de nos joues prépare encore de si nobles parties ?
Ci dessus extrait de l’article 
Notre monde, qui n’a que le sexe à la bouche, ne veut plus manger
de testicules. Voilà l’un des paradoxes de la modernité, qui joue les
délurées mais s’avère méchamment puritaine dans la pratique. Pourtant,
il y a quelques décennies encore, on se régalait des animelles, rognons
blancs de coq, suites de sangliers, œufs de moutons et autres gonades de
taureau. Et puis patatras, un beau jour plus personne n’a voulu croquer
dans une joyeuse. Essayez donc de servir des béatilles sautées à vos
convives. Berk assuré.
Ce revers de l’Histoire, Blandine Vié le détaille dans son livre
érudit et drôle baptisé Testicules (ed. de l’Epure). Journaliste
culinaire, la dame a une formation en histoire de l’art et une dizaine
de livres gourmands à son actif. Déplorant la disgrâce de ces abats-là,
elle a entrepris d’en chanter les louanges dans un essai qui mêle
mythologie, histoire, recettes et panorama lexical. « Je l’ai commencé
comme un simple livre de cuisine, très vite je me suis aperçue qu’il
serait dommage de s’en tenir aux fourneaux. »
Car la valseuse n’est évidemment pas un mets comme les autres. « La
grivoiserie surgit aussitôt », constate Blandine Vié. « On ne peut manger
des testicules d’animaux sans immédiatement penser à ceux de l’homme. Ce
qui n’est nullement le cas pour d’autres pièces de viande. » Nul ne
ricane ou ne rosit en effet en avalant une cuisse de dinde.
Ce troublant effet miroir, s’il participe aujourd’hui à la
déchéance de ces morceaux-là, en a longtemps fait la gloire. « Dans
l’Antiquité, ce sont des mets de héros. Censés contenir la force et la
virilité des animaux, ils sont servis aux vainqueurs. » On imagine la
tête de Federer ou Nadal devant un plat d’animelles.
Au Moyen Age, les roupettes font l’ordinaire des banquets paillards
et arrosés, avant de se faire victuailles aristocratiques à la cour de
Louis XV. « Après tout, il s’agit de pièces rares, si l’on considère leur
taille comparée à la masse de l’animal », sourit Madame Vié. Le XIXe les
adore aussi, louant leur délicatesse autant que les vertus
aphrodisiaques qui, de tout temps, leur ont été associées. La sagesse
populaire est formelle : qui mange des mignonnettes brille sous la
couette.
Début XXe, la cote des roubignoles dégringole. Les voilà devenus
plat de pauvres. Elles constituent le casse-croûte des forts des Halles
et ne mijotent plus guère que dans les marmites éclairées. A l’aube des
années 70, l’estocade sera portée par les lois sur l’hygiène,
l’industrie agroalimentaire triomphante, ainsi que par le « bon goût » et
la frilosité modernes. « Les riches ne veulent plus s’abaisser à
consommer de la triperie. Les pauvres ne veulent plus de produits
dédaignés par les riches », résume Blandine Vié. Vache folle et grippe
aviaire achèveront nos pauvres bonbons.
Aujourd’hui, on peut encore dégotter rognons blancs et amourettes, à
condition de les commander au bon boucher. L’occasion d’essayer l’une
des quelque cent recettes du livre, recettes créées et testées par
l’auteure, ou issues du grand répertoire gastronomique. Recettes
sévèrement coucougnées, que le lecteur se prend à rêver de cuisiner. Qui
eût cru que l’on songe un jour à croquer dans une burne ?
Estèbe