« L’avenir politique de l’Union Européenne ne peut s’envisager si elle n’est pas une entité politique à part entière, avec : un parlement et un gouvernement, une politique économique homogène en rupture avec le système actuel où chaque Etat fait, par exemple, du dumping social pour concurrencer économiquement le voisin, une armée Européenne, une politique fiscale et sociale commune aux différents pays... »
Vous avez omis l’essentiel, mais vous êtes en bonne compagnie : comme les eurocrates, vous avez oublié UN peuple ! De mauvais historiens ont décrété que l’Etat-nation était une invention de la bourgeoisie du XIXe siècle et ils ont brodé autour de ce thème, sans voir que la conscience nationale a existé avant la nation. $
Bien avant l’unification de ces pays, l’Europe parlait de l’Allemagne et de l’Italie. Quatre-vingts ans avant la naissance de la Suisse moderne, Rousseau, qui est de Genève ville qui ne fait pas encore partie de la Confédération, parle du peuple suisse, et dit en faire partie. En 1763, il écrit au maréchal de Luxembourg, depuis Môtiers, en comté de Neuchâtel, rattaché au royaume de Prusse.
« Pour connaître Môtiers, il faut avoir quelque idée du comté de Neuchâtel, et pour connaître le comté de Neuchâtel, il faut en avoir de la Suisse entière. »
La Suisse entière, c’est-à-dire, le territoire délimité par le Rhin, le Jura et les Alpes, complété par le Tessin, de langue italienne, ouvert sur la plaine du Pô, indépendamment de toute autre considération que géographico-identitaire.
Parce qu’il y a une identité : « ...les Suisses ont aussi tous à peu près les mêmes mœurs, mêlées de l’imitation des autres peuples et de leur antique simplicité (...) Les Suisses en général sont justes, officieux, charitables, amis solides, braves soldats, et bons citoyens, mais intrigants, défiants, jaloux, curieux, avares, et leur avarice contient plus leur luxe que ne fait leur simplicité. »
Et c’est ainsi que le jour où Genève et Neuchâtel deviennent des cantons à part entière, leurs populations sont déjà suisses depuis des siècles. Comme les Allemands et les Italiens de l’unification, en dépit de leurs rivalités, de leurs guerres, l’étaient déjà depuis des siècles au XIXe.¨
En revanche, là où le sentiment national ne préexistait pas à l’« invention » de la Nation, la mayonnaise n’a pas pris. C’est le cas en Belgique, ce fut le cas en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie, au grand dam des chimériques universalistes, qui n’en ont tiré aucun enseignement. A appliquer à l’invention d’une « nation européenne » vouée à l’échec, ça n’aurait pas été du luxe. Faute de peuple européen, c’est bel et bien l’Europe des nations qu’il fallait construire, plutôt que d’essayer de construire sans les peuples, donc contre eux au final !