Souveraineté, monde global et balivernes
Merci pour ce très beau morceau de droit constitutionnel. Permettez-moi d’y revenir pour mieux éclairer mon propos.
Les légistes qui ont créé la théorie de la souveraineté vivaient au XVIe
siècle. A cette époque, la théorie visait essentiellement le monarque. A la fin
du XVIIIe siècle, au moment où les révolutionnaires l’ont repris pour
l’appliquer au peuple, les communications (si l’on excepte le télégraphe de
Claude Chappe qui servit beaucoup Napoléon) n’avaient guère changé et gouverner
un territoire vaste comme la France, avec de simples chevaux, était
problématique. Si l’on excepte la Poste, la mer et quelques grands fleuves, il
y avait fort peu de réglementations internationales.
Le monde d’aujourd’hui a changé. La majorité des réglementations sont
devenues internationales. Si votre mobile, votre internet, votre carte bleue et le
moteur sophistiqué de votre voiture fonctionnent dans tous les pays européens,
c’est grâce à des conventions internationales qui posent les jalons nécessaires
à l’édiction de standards détaillés et compatibles.
Si la France était demeurée souveraine, au sens où Jean Bodin
l’entendait, et si elle édictait ses propres réglementations sans s’inquiéter
des autres, elle serait littéralement coupée du monde. C’est parce que sa Constitution
l’autorise à auto-limiter sa souveraineté par voie de traités internationaux
qu’elle est parvenue à prendre la part qui est la sienne dans la construction
du monde global d’aujourd’hui.
Au moment où la Constitution du 4 octobre 1958 a été adoptée, le Traité
de Rome était déjà signé. Le GATT, source de l’Organisation Mondiale du Commerce,
existait depuis plus de 10 ans déjà. Chaque fois que l’adoption d’un nouveau
traité ou d’une nouvelle directive a paru soulever des difficultés, le Conseil
Constitutionnel a été saisi, selon les règles posées par cette même
Constitution, pour savoir si on pouvait ratifier les nouvelles dispositions
internationales ou s’il fallait modifier le texte fondateur de la Ve
République.
Il ne s’agit donc pas de balivernes.
L’article 16 est sans doute un article de souveraineté. Il permet au
Président de la République, lorsque des circonstances dramatiques l’exigent, de
mettre en parenthèse la légalité ordinaire (dont les traités internationaux)
pour décréter par voie de « décision » les mesures qu’il juge bonnes, dans le
nouveau cadre supra-légal qu’autorise la Constitution. Toutefois, il faut souhaiter que ces circonstances ne surviennent jamais. Aujourd’hui, la crise est grave mais nous
ne sommes pas dans les circonstances visées par ledit article.
Quant à la transparence, je partage tout à fait votre opinion. Les lois
ne sont pas bonnes parce qu’elles sont lois, disait Montesquieu. Elles doivent
être lois parce qu’elles sont bonnes.
Pour qu’une loi soit bonne, il faut que le citoyen la comprenne, qu’il soit
conscient de sa nécessité et qu’elle l’habite. De très mauvaises habitudes ont
été prises. Beaucoup de lois ne sont pas bonnes. Certaines disent une chose et
son contraire, à coup d’exceptions. Beaucoup sont écrites dans un jargon
incompréhensible. Énormément nombreuses, mêmes bonnes, sont celles qui
demeurent inappliquées.
Les négociations transatlantiques constituent l’exemple même de ce qu’il
ne faut pas faire. Par manque de confiance dans le citoyen, on préfère les
négociations dans les couloirs à la transparence sur les grandes raisons qui
fondent le projet.
Ce n’est pas ainsi que l’Europe doit procéder. Rien d’étonnant dans ces
conditions que le fossé entre l’UE et ses citoyens se creuse.
L’Union Européenne a récemment déclaré qu’elle voulait placer les
citoyens en son centre. C’est bien ce qu’elle doit faire.