Loi pour la croissance
Cher M. Hervé Hum, vous m’invitez à pousser le débat encore plus loin. Je m’y risque.
On a parlé de la croissance par la loi. M. Arnaud Montebourg a surtout parlé de loi pour la croissance. La pensée est plus large. Elle concerne aussi et surtout la justice, volonté ferme et perdurable d’attribuer à chacun ce qui lui est dû. Elle inclut la propriété et la responsabilité.
Je parlerai plus volontiers de la première question. La seconde en dérive.
1/ Dans la croissance par la loi, la loi n’est que demande. Elle requiert la croissance, mais ne la fait pas. Ceux qui ajoutent à la richesse nationale, ce sont les citoyens, à titre individuel, ou organisés en sociétés plus ou moins étendues et complexes.
S’exerce-t-elle au profit de l’intérêt général ou de tel ou tel intérêt particulier ? La loi favorise certains et défavorise toujours d’autres. En général, les Etats sont majoritairement pour l’establishment. Plus on se libère des contraintes locales, plus il est facile de s’affranchir des conservatismes et militer pour le progrès.
Dans une Europe en construction, les directives de l’Union européenne sont naturellement plus progressistes. D’où la facilité avec laquelle elles sont adoptées à Bruxelles et le mauvais accueil qui leur est souvent réservé à Paris.
Le clientélisme est évidemment très répandu. Même l’interdiction de fumer dont on parlait précédemment est aussi le résultat de lobbyistes ayant des intérêts particuliers - très différents de l’intérêt général. Le lobbyiste défend parfois des causes justes et ne saurait être s’identifié avec le mal.
On n’y peut pas changer grand-chose. La nature humaine est ce qu’elle est et les choses sont ce qu’elles sont. Disons-que plus la loi est débattue, plus il y a de chance qu’elle serve l’intérêt général. Par ailleurs, quoiqu’on dise, la loi améliore généralement les sociétés plus qu’elle ne les fait rétrograder. Comme le soutenait Stuart Mill, la somme des utilités particulières correspond dans une certaine mesure à une utilité générale.
2/ A qui appartient la richesse créée ? De la réponse à cette première question, dépendra la réponse à celle de la responsabilité ? Si la richesse créée n’appartient à personne, personne ne pourra être tenu pour responsable.
Pendant longtemps on a cru que la richesse était un don de Dieu (voir la prière du pater noster) ou de la nature. En ce sens, elle appartenait à tout le monde et, donc, à personne.
De fait, Karl Marx a montré que les sociétés dites primitives étaient souvent collectivistes. Mais, pour lui, comme pour la plupart des économistes, dans les sociétés modernes, la richesse provient du travail.
La propriété humaine, c’est ce qui est propre à un être humain. John Locke pensait que le travail (celui du fermier, comme celui de l’intellectuel, qui ajoute à la nature par son savoir-faire ou par sa découverte) était le prolongement de la personne humaine.
C’est ainsi que les révolutionnaires de 1789 ont considéré que la propriété était un droit de l’homme et du citoyen « inviolable et sacré ».
La Constitution de 1958 fait référence à cet article de la déclaration de 1789 ; il s’agit donc en France d’un droit indirectement constitutionnel. L’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme le mentionne également. Sa réalité peut donc être sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui est la plus haute juridiction de l’Europe.
Sous l’empire de cette constitution et de ce traité, cette richesse même si elle est demandée en tout ou partie par la loi n’appartient pas à la collectivité ; sauf dans le cas où est demandée à titre de corvée. La richesse appartient à celui qui la crée. D’où l’importance de l’initiative privée dans nos sociétés occidentales.
Cependant, ce droit nous vient du XVIIIe siècle. Selon l’idéologie dominante, la propriété protégée est longtemps restée immobilière. Ainsi, lorsque l’Etat, défenseur de l’ordre établi, veut s’emparer d’un terrain, il doit l’exproprier moyennant une indemnité juste et préalable. Par contre, pour s’emparer d’un savoir-faire, qu’il s’agisse d’une personne privée ou d’une personne morale, une simple spoliation suffit souvent.
La plupart des richesses étant immatérielles, cet ordre des choses à des conséquences dévastatrices pour l’économie et pour la société.
3/ La protection la plus forte de la propriété intellectuelle est assurée par la Constitution américaine. Dans son article 1er elle dispose : « Le Congrès aura le pouvoir ... Afin de promouvoir le progrès des sciences et des arts utiles, en assurant pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs le droit exclusif à leurs écrits et découvertes respectifs ».
Cette disposition a permis un développement exceptionnel de l’édition aux Etats-Unis et en particulier de l’édition des logiciels informatiques. Il est ordinaire de voir figurer, en tête des logiciels, le nom de tous les auteurs qui ont contribué à leur réalisation, comme pour les grandes productions cinématographiques d’Hollywood. Le Cabinet Pierre Audouin Consultant estime que les Etats-Unis engrangeaient à eux-seuls près de 44% des revenus mondiaux de logiciels en 2011 (http://www.journaldunet.com/solutions/ssii/classement-mondial-editeur-2010/part-de-marche-geographique-des-editeurs-de-logiciels.shtml).
En France, les grands combats menés par Beaumarchais ont permis de reconnaître le droit d’auteur. Victor Hugo est à l’origine de la Convention internationale de Berne qui protège le droit d’auteur dans presque tous les pays du monde. La littérature française en a sans doute bénéficié.
Mais malgré les articles on ne peut plus clairs de la Convention de Berne, la jurisprudence a souvent refusé son bénéfice aux auteurs d’œuvres « utiles ». L’idée était de favoriser l’échange d’idées et la fluidité de l’économie. On n’admet le droit des créateurs économiques que, moyennant des déclarations et le paiement de taxes relativement élevées, par voie de concessions temporaires sans garantie du gouvernement (brevet) ou par voie de marques. Il s’agit d’un droit plutôt réservé aux grandes sociétés. L’ouvrier de base, qui invente très souvent, demeure généralement anonyme.
Le secret, qui devait permettre de protéger les savoir-faire, n’assure plus une protection très efficace du patrimoine technologique à l’ère de la société d’information.
Malgré les progrès accomplis dans les trois dernières décennies, la pensée unique reste hostile au droit des créateurs. Cette hostilité présente trois défauts majeurs pour l’économie :
· - Le patrimoine technologique du pays qui investit n’est pas protégé. Il en résulte une très grande fluidité de l’économie. Le pouvoir financier qui détient la plupart des entreprises nationales a intérêt à les déplacer vers les lieux où la main d’œuvre est moins chère. Cette vacuité du droit est la source principale des délocalisations. Les entreprises étrangères elles-mêmes peuvent utiliser librement ces créations anonymes pour faire concurrence aux pays créateurs sans avoir supporté les coûts de recherche développement.
· - Les investissements dans le savoir-faire pour la croissance ne sont pas protégés. C’est la protection juridique qui permet l’amortissement. Faute d’amortissements, il y a très peu d’investissements qui puissent être rentables. Le financement public de la recherche ne parvient pas à compenser cette lacune structurelle ; en outre, les deniers publics investis s’évadent également une fois que le savoir-faire a démontré sa valeur. Les financements privés existent mais ne s’investissent pas. La croissance est ainsi bloquée, malgré la croissance par la loi, et le chômage s’étend.
· — La réalité des richesses est ignorée parce que la plus grande part de celle-ci, la richesse immatérielle, est invisible parce que non reconnue. Les politiques économiques sont difficiles à conduire dans un monde pour l’essentiel inconnu. L’évasion fiscale est considérable. Les inégalités s’accroissent. Alors l’emprise de la mauvaise gouvernance poursuit une extension continue.
C’est la principale explication de l’échec de la Stratégie lancée en l’an 2000 par les chefs d’Etats et de Gouvernement à Lisbonne (http://www.fenetreeurope.com/php/page.php?section=chroniques&id=1099).
La loi n’est pas seulement une demande ; c’est aussi un facteur de croissance. La loi peut influencer la croissance en étant pro-compétitive ou anti-compétitive ; auxquels cas d’autres profitent des fuites du système déficient (voir le commentaire précédent). Les deux se cumulent malheureusement très bien.
On voit ainsi, à nouveau, l’ampleur des chantiers qu’il appartiendra à M. Montebourg d’ouvrir demain. La France dispose de plusieurs atouts dans ce domaine : elle a joué un rôle important dans la création du droit d’auteur ; plusieurs traités internationaux et européens ouvrent de très larges perspectives ; l’Europe attend depuis sa fondation l’émergence d’un véritable droit de la propriété intellectuelle.
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