Bon, je fais une dernière tartine, et à moins que tu répondes quelque chose d’intéressant je ne reviendrai pas sur ce fil. C’est que moi aussi j’en ai marre de voir mes propos caricaturés, simplifiés, dénigrés a priori.
Sur Rabelais :
Il est certain que Rabelais était « en avance » sur son époque, dans le sens où il a fait preuve d’innovation, qu’il était à la pointe de la science de son époque (il était médecin), et qu’il rendait accessibles ses connaissances par ses écrits. Il était, dans ce sens, plus « moderne » que la plupart des théologiens encroûtés (les intellectuels de l’époque). Le Tiers Livre est une critique mordante de tous les « savoirs » académiques détenus par des sommités auto-proclamées, qui se révèlent incapables de répondre à la question de Panurge sur le mariage. C’est un rôle bénéfique qu’il a eu et qu’on ne peut pas lui nier. Mais est-ce que ça en fait un humaniste ? Si l’humanisme, c’est « l’homme est la mesure de toutes choses », que l’Homme peut se sauver par ses propres forces, la réponse est non, c’est net. Rabelais reste lié à la tradition biblique (ce n’est pas un hasard si ses personnages phares sont des géants) et à la mystique (l’alchimie se trouve dans chacun de ses chapitres). Ce n’est pas parce qu’il fait preuve de fraîcheur qu’il se détache de la Tradition, à moins qu’on considère que la Tradition soit une chose figée (alors qu’elle est immuable, ce qui n’a rien à voir). Le fait qu’il soit par ailleurs influencé par des auteurs latins, Lucien de Samosate en premier, ne suffit pas non plus à le déterminer comme appartenant à un courant philosophique particulier. Qu’il soit par certains aspects stoïcien n’en fait pas un anti-traditionaliste, d’autant plus lorsqu’on observe la ressemblance des morales stoïcienne et chrétienne (que les chrétiens des premiers siècles avaient déjà détectée, au passage). Par conséquent, si jamais cette prosopopée avait un sens, il y aurait peu de chance de voir Rabelais soutenir aujourd’hui la démarche intellectuelle moderne, qui nie Dieu (quel que soit le sens que puisse avoir « nier Dieu »).
Sur la morale de Bergson :
La mystique n’implique pas du tout, contrairement à ce que tu sembles dire, d’avoir besoin de quelqu’un pour penser. Pour preuve, les deux exemples de mystiques personnelles dont procède une morale dynamique que cite Bergson sont Socrate et Jésus. Je constate donc que tu n’as pas compris la conception bergsonienne de la morale.
Sur la morale kantienne :
Je n’ai pas dit que la morale kantienne de l’impératif catégorique était la morale de tous les psychopathes, mais qu’une personne pratiquant la morale kantienne dans sa pleine pureté aurait tout d’un comportement psychopathologique. Je reprends mon exemple : devant le spectacle d’un enfant qui se noie, se jeter à l’eau pour le sauver est un élan naturel et spontané. Il n’y a pas à réfléchir avant de plonger. Mais un kantien puriste ne manifesterait aucunement cet élan, et sa décision de sauver l’enfant procèderait d’une réflexion froide : « je peux sauver l’enfant, donc je le dois, car ainsi je considère la vie de cet enfant comme une fin et non comme un moyen, et par conséquent la maxime de mon action pourra être érigée en loi universelle ». Si l’enfant n’a pas eu le temps de se noyer avant qu’il ait fini de cogiter, je te demande si tu trouves qu’un tel individu est normal. Moi, j’en connais pas, je veux pas en connaître, et je veux pas y ressembler. Une telle attitude, si « kantiennement » morale soit-elle, est dénuée d’empathie, ce qui caractérise le profil psychologique du psychopathe. Pour moi, cette démonstration suffit à montrer que la voie de l’impératif catégorique et du principe universel est une impasse (je ne dirai pas « une imposture », par respect pour Kant tout de même).