1) Tout d’abord, il convient de faire une mise au point sur l’éthique chrétienne, car tes propos révèlent une ignorance complète de celle-ci et de ses fondements. Je te préviens qu’on va être obligé de rentrer un peu dans la théologie. Quand je dis que le fondement de la morale de Jésus est « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme », c’est bien parce que c’est la réponse qu’il fait lorsqu’on lui demande quel est le plus grand des commandements, comme le montre l’extrait ci-dessous de l’Evangile selon Matthieu (22.36-40) :
[36] Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? [37] Jésus lui répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. [38] C’est le premier et le plus grand commandement. [39] Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. [40] De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes.
Il faut bien noter que la sentence « tu aimeras ton prochain comme toi-même » est énoncée en second, mais est, selon Jésus, « semblable » à la première. Autrement dit, le fait de se comporter éthiquement vis-à-vis de ses semblables ne fait pas que découler logiquement du fait d’aimer Dieu, mais c’est substantiellement la même chose. La charité, selon Claire de Castelbajac, consiste à « aimer les autres parce que Dieu les aime ». Il ne s’agit donc pas d’une réciprocité à deux termes, mais à trois (tiens, comme dans la Trinité, mais bref...) : d’une part l’amour de l’autre en tant que semblable, d’autre part l’amour de Dieu qui contient en lui-même tous les semblables, et enfin l’amour de Dieu pour la créature, ces trois relations se faisant écho l’une à l’autre. Saint Paul dit bien que la pratique de la réciprocité entre les humains sans l’amour de Dieu (la charité) n’est qu’une vanité.
On voit bien, dans cette optique, que le transcendant et l’immanent ne sont pas deux dimensions qui s’excluent l’une l’autre, mais au contraire qu’elles sont comme une ligne horizontale et une ligne verticale qui se croisent en un point, qui est le Christ. D’où le symbole de la croix, sur laquelle celui-ci est justement cloué. Cela signifie que le Christ est le seul élément réellement universel.
Tu vas sans doute me dire que ce n’est pas vrai car cela reste dans le cadre du monothéisme, et donc que ce n’est pas universel, mais ce n’est pas parce que d’autres civilisations ne se servent pas du mot « Dieu » et de la représentation du Christ que cela les exclut de cette universalité. Pour rappel, le nom de Dieu, dans la Bible, est : CELUI QUI EST (je mets des majuscules car la Bible en met, comme pour souligner l’importance de ce passage). Or, n’importe quel humain peut comprendre ce nom, donc Dieu n’est pas une propriété exclusive des religions monothéistes, mais est une réalité (c’est même La Réalité) accessible à tous.
2) Une fois cette mise au point faite, une remarque s’impose concernant le tableau que tu m’as donné en lien : il ne concerne que le bien-être social. Toute considération cosmique qui dépasse du cadre social est exclu. Il ne permet donc pas de référencer une éthique de type chrétienne (ou bouddhiste, ou autre), puisque celle-ci concerne également l’univers entier. Si notre action procède de l’amour de Dieu, c’est que nous avons conscience que même en levant le petit doigt nous produisons un effet sur un grain de sable du Sahara. Nous n’agissons pas seulement en vue du bien-être social, mais au-delà (pour le Salut du monde). Cependant, il est remarquable que, vu de l’extérieur, dans un contexte ordinaire, une personne agissant dans la charité aura un comportement semblable à celui du niveau 6. C’est lorsqu’il sera question de sacrifice personnel qu’on verra apparaître des comportements impossibles à classifier dans le tableau. Mais sans aller jusqu’à ces situations exceptionnelles, soulignons que, même si extérieurement on ne voit pas de différence, c’est vu de l’intérieur que c’est complètement différent. Je sais qu’en tant que matérialiste, tu ne t’embarasses pas de ce genre de considérations, et c’est tout à fait cohérent avec tes principes, mais je ne vois pas pourquoi tu ne laisserais pas ceux qui voient quelque chose au-delà de la matière partir de leurs propres principes.
En parlant de principe, j’aurais aimé que tu me dises précisément où se trouve ma « pétition ». Au lieu de ça tu me dis simplement que j’en fais une, pour ensuite écrire : « Et donc tu ne peux pas faire plus universel que la morale universelle ». Si tu ne vois pas que, en faisant de l’universalité à la fois le principe et le but de ta recherche, que tu es dans la tautologie la plus complète, puisque tu valorises l’universel et le mets au-dessus de tout parce qu’il est universel, c’est inquiétant.
3) Tu t’es couvert de ridicule en tentant d’argumenter à partir de Monsieur Spock, qui est un personnage de fiction, je ne pouvais pas ne pas le souligner, et je ne vois pas pourquoi j’aurais à répondre à ça.
4) Pas besoin de compassion ou autre émotion spécifique pour construire intellectuellement une morale universelle, donc juste sur la raison pure, il faut juste utiliser la capacité d’empathie c’est à dire la capacité de se mettre à la place de l’Autre
La capacité de « se mettre à la place des autres » suppose une certaine intelligence émotionnelle, car elle implique de ne pas faire certaines choses qui pourraient heurter la sensibilité émotionnelle d’autrui. Il faut donc être capable de comprendre les émotions, et donc d’en éprouver soi-même. Donc l’empathie n’a pas sa source dans la raison pure, mais aussi dans l’émotion.
La compassion est bien différente. Elle signifie « souffrir avec ». Avoir de la compassion pour un être ne signifie pas imaginer la souffrance qu’il ressent en se mettant à sa place, mais souffrir en lui. C’est nous qui souffrons, mais pas en nous-même. La compassion a donc sa source dans un fait métaphysique bien spécifique, qui est l’unité fondamentale de laquelle tous les êtres tirent leur existence. Sans cette unité, pas de compassion possible. Nous voyons donc que nous retombons sur ce que j’ai dit au point 1 : la morale se fonde sur une réalité transcendante, et la relation avec celle-ci implique une conduite morale, non pas dans le sens où la personne change sa manière de réfléchir, mais où elle change tout entière (intellectuellement, émotionnellement...et même corporellement). Je sais que cela est absolument inadmissible pour un matérialiste, mais c’est pourtant bien réel, et expérimentable par chacun.
Il est bien évident que ce que j’ai dit sur Jésus est applicable à Confucius, étant donné l’importance que celui-ci accordait au Ciel.
« En suivant les désirs de mon cœur, je ne transgressais aucune règle ».