Rounga
J’ai pris plaisir à lire votre article, qui est fort intéressant et bien documenté. On a évidemment tort de vouloir opposer d’une façon trop radicale l’Orient et l’Occident. Quand je me promène au musée Guimet et que j’y vois tant de bouddhas d’Afghanistan sculptés selon les canons esthétiques de l’art grec, je me dis que bien avant le premier siècle de notre ère, les idées devaient circuler beaucoup plus intensément qu’on ne peut le concevoir, faute de témoignages écrits suffisants. Il reste que je pensais en vous lisant à « La tentation de l’Occident » de Malraux. Le jeune oriental y exprime l’espèce de stupeur que lui cause (et à moi aussi !) l’image horrible du crucifié, qui sert d’enseigne à la religion chrétienne, et qui est tellement opposée à l’expression de sérénité des bouddhas.
Dans le bouddhisme, le mal, c’est la souffrance ; il faut à tout prix éviter de la ressentir comme de l’infliger. Je doute (mes connaissances sont un peu limitées) qu’elle puisse avoir dans cette « religion » une fonction rédemptrice. Dans le christianisme, c’est tout le contraire. « L’imitation de Jésus-Christ » aura été durant toute la période classique le livre de chevet du chrétien. Etre à son tour crucifié, bouffé par les lions du cirque, ou rôti comme Saint-Laurent, quel pied puisque l’instant d’après on sera in paradisum. Mais même à l’époque classique, si on aimait évoquer ou figurer en peinture ces images de la Légende Dorée, on ne les prenait déjà plus guère au sérieux. Les religieuses de Port-Royal, peut-être - et encore ! Je ne vois rien de tel en tout cas dans le bouddhisme.
Vos rapprochements me paraissent plus convaincants lorsqu’on regarde un christianisme contemporain qui s’est beaucoup éloigné, depuis la Saint-Barthélémy et surtout la critique des Lumières, du fanatisme médiéval. Le chrétien contemporain ignore à peu près tout de la théologie, il a cessé de croire à la plupart des dogmes ; si on l’envoyait devant un tribunal de l’Inquisition, il n’y aurait évidemment pas d’autre solution pour lui qu’un beau bûcher pour hérésie. On va donc inévitablement vers une espèce de syncrétisme poétique destiné à rendre compte de ce qui, dans le monde, excèdera toujours la compréhension qu’on peut en avoir. On pourra peut-être encore appeler ça religion, pourquoi pas ? Le shintoïsme, à cet égard, qui était cela dès l’origine, me paraît être la plus estimable et la plus belle des religions. J’y suis déjà à moitié converti.