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Commentaire de Rounga

sur Bouddhisme et christianisme - Eléments pour un dialogue interreligieux


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Rounga Rounga 23 septembre 2014 13:15

Vous soulevez là un vrai problème, mais il me semble tout de même que vous idéalisez quelque peu le bouddhisme qui, dans ses formes populaires, se révèle tout aussi intéressé à l’entrée dans un paradis (terre pure ou nirvana). Cependant, si l’on s’en tient uniquement à la doctrine, sans tenir compte de la manière dont elle est perçue par les dévots communs, il est vrai que le nirvana n’est pas présenté comme un état de félicité éternelle, mais plutôt comme une extinction, opposée au samsara, le monde de l’existence marqué par la souffrance. Il s’agit à première vue d’un paradis en négatif, puisqu’on ne désire pas l’atteindre pour goûter au Bonheur suprême, mais pour arrêter de souffrir. C’est ne plus viser la carotte pour fuir le bâton. C’est une forme d’intéressement, mais contre laquelle la plupart des maîtres se prononcent : il ne faut rien attendre, il ne faut pas espérer de libération, car c’est encore une forme d’attachement. C’est lorsque le pratiquant arrête de chercher, qu’il lâche complètement prise, qu’il trouve enfin l’Illumination. C’est ce qu’on appelle en psychologie un double-bind, une exigence impossible à remplir, du type « sois spontané » ou « ne pense pas à un éléphant ». 

Le christianisme de son côté a, c’est vrai, moins de scrupule à promettre une rétribution. Jésus lui-même l’atteste, et l’espérance est une des trois vertus théologales. Cependant, la vraie éthique du chrétien est l’amour de Dieu et non l’amour de soi. Un chrétien conséquent désire donc ardemment le paradis, non parce qu’il pense que c’est un coin sympa pour passer l’éternité, mais parce qu’il aime Dieu plus que tout. Vous allez me dire que désirer être auprès de celui qu’on aime est encore une démarche intéressée, mais il y a encore un niveau supérieur. Dans la théologie catholique, le plus cher désir de Dieu est de voir toutes les âmes regagner le Royaume de Dieu. Celui qui parvient à l’amour parfait de Dieu ne désire plus que la volonté de Dieu s’accomplisse, sans regard sur sa propre personne. C’est ce qui fait dire à Maître Eckhart que s’il se retrouve en enfer par la volonté de Dieu, c’est bien, car Dieu l’a voulu ainsi. Selon ce point de vue, on peut presque dire que tout est sauvé, à condition qu’on s’en rende compte. Il n’y a alors plus de dualité entre enfer et paradis, pas plus qu’entre nirvana et samsara.
Or, c’est justement cette non-dualité qui est la clé du double-bind que j’ai mis en évidence plus haut, et qui ne fonctionne que s’il y a dualité entre ses deux termes constitutifs (i.e. tu dois faire ton salut, mais pour y arriver tu ne dois pas le vouloir). C’est à cette dimension non-duale que le pratiquant accède lorsqu’il s’éveille. Il n’est cependant pas l’agent de la mise en route de cette expérience, c’est un état qui s’impose de lui-même. Ici aussi opère quelque chose qui n’est pas sans rappeler la grâce.

Pour finir je ferai une remarque sur Abraham. A mon avis, l’histoire que nous raconte la Bible est celle d’un homme qui avait un tel amour pour Dieu qu’il s’était détaché de tout, y compris de son fils, au point d’être capable de le sacrifier. Dieu, dans un premier temps, teste la perfection du détachement d’Abraham, en regardant s’il est capable d’aller jusqu’au bout, puis dans un second temps le canalise en lui faisant comprendre qu’il n’a pas besoin d’aller jusque là, que l’amour de Dieu n’implique pas l’indifférence pour la vie humaine, mais qu’au contraire elle y est étroitement liée. C’est l’histoire de la prise de conscience, en deux temps, que le commandement d’aimer Dieu est semblable à celui d’aimer les hommes. De ce point de vue l’histoire n’est pas monstrueuse. Elle ne l’est que si l’on considère les deux temps de l’histoire séparément, comme si Dieu pouvait véritablement exiger le sacrifice d’un être humain ou encourager quelqu’un à tomber dans le fanatisme. Au contraire il l’en sauve.

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