Hélas, mes frères, ce dieu que j’ai créé était œuvre faite de main humaine et folie humaine, comme sont tous les dieux.
Il n’était qu’homme, pauvre fragment d’un homme et d’un « moi » : il sortit de mes propres cendres et de mon propre brasier, ce fantôme, et vraiment, il ne me vint pas de l’au-delà !
Qu’arriva-t-il alors, mes frères ? Je me suis surmonté, moi qui souffrais, j’ai porté ma propre cendre sur la montagne, j’ai inventé pour moi une flamme plus claire. Et voici ! Le fantôme s’est éloigné de moi ![...]
Maintenant, croire à de pareils fantômes ce serait là pour moi une souffrance et une humiliation. C’est ainsi que je parle aux hallucinés de l’arrière-monde.[...]
Il y eut toujours beaucoup de gens malades parmi ceux qui rêvent et qui languissent vers Dieu ; ils haïssent avec fureur celui qui cherche la connaissance[...]
Ils regardent toujours en arrière vers des temps obscurs : il est vrai qu’alors la folie et la foi étaient autre chose. La fureur de la raison apparaissait à l’image de Dieu et le doute était péché.
Je connais trop bien ceux qui sont semblables à Dieu : ils veulent qu’on croie en eux et que le doute soit un péché. Je sais trop bien à quoi ils croient eux-mêmes le plus.
Ce n’est vraiment pas à des arrière-mondes et aux gouttes du sang rédempteur : mais eux aussi croient davantage au corps et c’est leur propre corps qu’ils considèrent comme la chose en soi.
Mais le corps est pour eux une chose maladive : et volontiers ils sortiraient de leur peau. C’est pourquoi ils écoutent les prédicateurs de la mort et ils prêchent eux-mêmes les arrière-mondes. »
Ainsi parlait Zarathoustra