Ahahaha l’analyse psychologique du délire complotiste est pourtant bien simple :
Les personnes confrontées à une situation de perte de contrôle adoptent systématiquement la thèse du complot. Mais pourquoi ?
Qu’il s’agisse de la théorie selon laquelle les tours du
World Trade Center auraient été dynamitées par la CIA, ou de l’idée que
Pierre Bérégovoy
aurait été en son temps assassiné par les Renseignements généraux, il
suffit de constater le succès de ces thèses conspirationnistes pour se
convaincre que le complot a bonne presse.
L’époque y est propice. Un air de paranoïa plane sur les forums
Internet. Pourquoi tant d’élucubrations maniaques ? À l’Université de
Evanston dans l’Illinois, deux psychologues, Jennifer Whitson et Adam
Galinsky, ont découvert un facteur qui expliquerait ce type de phénomène
(voir «
Lacking Control Increases Illusory Pattern Perception »,
Science,
n° 5898, 3 octobre 2008 - NDLR). Ils ont constaté que l’on se met à
croire aux complots dès lors qu’on a l’impression de ne plus contrôler
son environnement. Il s’agirait d’une façon de réintroduire du sens là
où il semble ne plus y en avoir.
Dans cette expérience, des volontaires devaient deviner un concept
à l’aide d’indices livrés par un ordinateur. Par exemple, si le concept
à identifier était celui de vitesse, l’ordinateur montrait deux objets
aux volontaires, une automobile et un hamburger. Si le participant
choisissait l’automobile, l’ordinateur lui donnait un signal positif et
lui montrait deux nouveaux objets entre lesquels choisir, par exemple un
avion et un livre. Cette fois, l’ordinateur adressait un message
positif si la personne choisissait l’avion, et négatif pour le livre.
Peu à peu, grâce aux indices cohérents livrés par l’ordinateur, le
participant finissait par trouver la réponse. Il était alors dans une
situation dite de contrôle, car ses choix avaient un impact sur sa
progression, les indices de l’ordinateur étant cohérents.
Toutefois, certains volontaires étaient placés dans une situation
dite de perte de contrôle. L’ordinateur leur adressait des messages
positifs ou négatifs de façon aléatoire, sans lien avec leurs réponses.
Les choix des participants, dans ce cas, n’avaient aucun impact sur leur
progression.
J. Whitson et A. Galinsky ont alors constaté que les personnes
placées en situation de perte de contrôle avaient tendance à voir des
complots là où il n’y en avait pas. Ils l’ont montré en proposant une
seconde partie à l’expérience : chaque participant devait s’imaginer
occuper un poste important dans une entreprise, où il avait pour mission
de gérer les heures de présence des employés et leur usage d’Internet.
Dans ce cadre, il était supposé être sur le point d’obtenir une
promotion, mais la veille de l’entretien avec ses supérieurs, il notait
un échange de messages électroniques particulièrement virulents entre
son patron et le collègue occupant le même bureau. Le lendemain, il
apprenait que la promotion ne lui était pas accordée. Avait-il été
l’objet d’un complot ?
Face à ce type de situation, l’expérience a montré que les
personnes confrontées à une situation de perte de contrôle (dans la
première partie de l’expérience) adoptent systématiquement la thèse du
complot, alors que les autres participants y sont moins enclins.
Pourquoi ? Parce que le fait de voir une volonté organisée derrière un
événement quel qu’il soit restaure une forme de compréhension face à son
environnement, et l’espoir de retrouver un certain pouvoir
d’intervention et de contrôle.
Pour de nombreux psychologues et anthropologues, un grand nombre
de caractéristiques sociales ou culturelles de l’humanité dépendent du
sentiment qu’ont les individus de maîtriser leur destin et leur
environnement. L’impression de pouvoir organiser son environnement et
son travail est l’un des premiers facteurs de bien-être psychique ; à
l’inverse, le sentiment de ne rien contrôler entraîne un épuisement
émotionnel bien connu des psychologues du travail.
Toutefois, cette nouvelle étude permet de mieux comprendre la
vision « paranoïaque » du monde. Les situations de perte de contrôle,
que ce soit au travail ou en famille, diminuant l’influence qu’ont les
individus sur leur destinée et sur l’avenir de leurs enfants, semblent
attiser le goût du complot, mais également, comme l’a montré cette
étude, l’attrait pour les superstitions. Les superstitions sont en effet
des moyens de restaurer un contrôle sur l’environnement : on « touche
du bois », on porte un vêtement fétiche, etc. Le regain des
superstitions et une « paranoïa » collective seraient deux facettes d’un
même phénomène.
Source :
* Sébastien Bohler, «
Des complots partout »,
Cerveau&Psycho.fr,