L’économiste Bernard Maris a écrit le
texte suivant. Ce texte a été publié dans Charlie Hebdo, mercredi
7 janvier 2015, page 13, … le jour de l’assassinat de Bernard
Maris.
La conversion de Michel.
Hollande achève deux mandats
catastrophiques. Le parti de la Fraternité musulmane émerge, côte
à côte avec le PS, et le FN va l’emporter. Le PS fait alliance avec
la Fraternité musulmane, l’UDI et l’UMP pour faire barrage au FN.
Mohamed Ben Abbes devient président de la République, et Bayrou
Premier ministre. Mais le PS abandonne à la Fraternité musulmane le
ministère qui lui revient de droit, l’Education nationale. Ben Abbes
propose une charia modérée, doucement réactionnaire, avec un
retour à la famille et à la femme au foyer, et une privatisation de
l’enseignement qui convient tout à fait à tout le monde.
Il offre aussi une incroyable vision
d’avenir : l’Empire romain ! Le limes, de la Bretagne au
désert du Sahara, en passant par l’Italie, la Turquie, la Grèce et
l’Espagne. Ben Abbes en Auguste ou Marc Aurèle (en futur président
d’une Europe élargie à la mare nostrum). En France, le chômage
s’effondre, la violence aussi. Les catholiques sont choyés. On
attend paisiblement les conversions. Elles arrivent, et d’abord dans
l’Université, particulièrement arrosée en termes d’argent … et
où la polygamie se développe. Sous l’impulsion de Ben Abbes, les
pays arabes francophones plus l’Egypte et le Liban adhèrent à
l’Europe, et l’équilibre linguistique européen se déplace en
faveur de la France. La France est à nouveau grande. La nouvelle Pax
Romana règne. Fin de la fable.
C’est un pur chef-d’oeuvre houellebecquien, c’est-à-dire :
1) une projection futuriste extraordinaire et crédible, comme
dans tous les romans précédents. Elle est doublée d’une question
politique majeure : l’identité, la patrie, la nation (« née
à Valmy, morte à Verdun ») peuvent-elles exister sans
transcendance ? Non. Il faut la Vierge pour Péguy, l’Etre
suprême pour Robespierre, ou Dieu pour Ben Abbes, qui veut redonner
à la France l’âme qu’elle eut pendant mille deux cents ans, de
Clovis aux Lumières.
2) Un personnage principal détruit, désemparé, dépressif,
malheureux en amour par son incapacité à retenir une femme, mais
qui renaît dans le pari d’une conversion raisonnée, une conversion
pascalienne, associée à un mariage de raison. Car, thème éternel
houellebecquien, tout homme peut être sauvé par l’amour (ainsi, le
père du héros). Le nôtre, trop égoïste, trop occidental et bien
incapable de trouver l’amour par lui-même, le croisera par des
marieuses. La polygamie lui fournira les jeunettes pour le sexe et la
quadra pour la cuisine.
3) Enfin, un style désormais parfait,
de nombreuses digressions philosophiques – comme toujours – et un
humour digne du maître omniprésent dans le roman (Huysmans ;
on comprend a posteriori où Houellebecq a puisé son style et son
humour).
Et la misogynie, le machisme ?
Aucune importance, c’est un roman, pas plus machiste que Bel-Ami,
plutôt moins. Et la raillerie implicite de l’islam ? Elle
n’existe pas. « L’islam accepte le monde tel quel » :
toute la différence avec le catholicisme, qui ne peut qu’engendrer
frustration perpétuelle. Encore un magnifique roman. Encore un coup
de maître.
Bernard Maris.