@bigjim
Il y a l’usage et il y a la règle. Beaucoup d’usages sont fautifs et calamiteux, révèlent souvent la profonde inculture de ceux qui croient savoir ce qu’ils disent mais, de fait, et sans même s’en apercevoir, expriment le contraire de leur sentiment. « Je me comprends », me disaient les plus bornés de mes élèves, lorsque je leur faisais remarquer quelque tournure fautive dans une copie. La langue sert à communiquer avec les autres, pas avec soi-même, et quand on ne sait pas le sens des termes, on ne risque pas d’être compris. Dans les banlieues où j’ai enseigné, si je disais à un élève un peu turbulent : « cessez donc de faire le bouffon ! », il ouvrait de grands yeux effarés, comme après une insulte. Pour eux, le bouffon n’était pas un comique de bas étage, mais le lèche-cul qui tâche de se faire bien voir du prof - une acception qu’on ne trouvera dans aucun dictionnaire ! J’entends tous les jours, même dans les media, des braves gens qui n’hésiteront pas à dire par exemple : « je mangerai tout sauf à m’en rendre malade ». Ils veulent dire : sauf si cela risque de me rendre malade, mais « sauf à » n’est pas l’équivalent de « sauf si » et veut dire « quitte à ». Leur interlocuteur, s’il maîtrise la langue, comprendra donc, lui, le contraire, à savoir qu’ils s’empiffreront, quitte à en être malades, et s’ils doivent..
Le mot « phobie » a le même sens dans tous les dictionnaires. C’est donc par un abus tout à fait exorbitant qu’on prétend caractériser par le terme « islamophobie » ceux qui critiquent l’islam. S’ils le critiquent, c’est qu’ils ont acheté le Coran dans quelque librairie, qu’ils l’ont ouvert, qu’ils croient le connaître pour en avoir lu au moins quelques sourates et que la chose ne leur a donc pas fait peur.
Pour l’homophobie, ce n’est pas du tout la même chose, et il existe de fait une aversion physique qui explique cette attitude ; je dois avouer que la seule idée de rouler une pelle à un citoyen du même sexe m’inspire un certain dégoût. Je finirai peut-être par consommer ce fruit qu’on appelle durian et que je trouve dans toutes les épiceries de ma rue, mais comme je n’y ai pas été habitué dès l’enfance, j’en supporte difficilement l’odeur. Et alors, et le camembert ! me disent les Chinois que ce fromage dégoûte pareillement. Eh bien oui, c’est comme ça. C’est aussi une espèce de phobie, et là, je suis bien forcé d’en convenir, malgré mon penchant pour les cuisines de l’Orient.
J’évoquais dans l’article les études de Klemperer sur la transformation que les nazis avaient fait subir à la langue allemande. J’aurais pu évoquer tout aussi bien « L’ontologie politique de Martin Heidegger » un essai publié par Bourdieu en 88 aux éditions de Minuit. Il y montre comment le philosophe nazi pose sur des réalités tout à fait triviales des concepts extrêmement fumeux, gonflés comme des baudruches, et parfaitement vides de sens.