Toutes ces « grandes affaires » d’attentats médiatisés qui éveillent les soupçons ont des répercutions (guerres, lois de contrôle et surveillance...) qui tombent en sentences, comme d’un jugement.
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Or le point commun de ces grandes affaires, c’est qu’il n’y a jamais personne sur un banc des accusés dans le cadre d’un procès en bonne et due forme.
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Il n’y a jamais de procès ni d’accusé pour s’expliquer et répondre mais il y a pourtant jugement et condamnation pour les assimilés aux accusés absents.
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Un procès est une des institutions, aussi imparfaite soit-elle, que met au point une société afin de digérer un traumatisme en cloturant une séquence pénible, par des méthodes qui lui permettent de se convaincre que le maximum a été fait pour atteindre de manière satisfaisante une vérité, la version des faits admise collectivement.
Il n’y a jamais de procès dans le cadre de ces « grandes affaires » et beaucoup de personnes restent dans le sentiment d’un travail d’enquête inachevé, ou biaisé car réalisé par des instances politisées (des gouvernements, des commissions non-indépendantes), et donc de répercutions illégitimes, d’injustice.
Beaucoup de gens restent alors à la recherche d’éléments ou dans l’expectative d’une révélation qui permettraient un procès et une sentence censément plus juste.
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C’est très probablement avant tout un sentiment d’inachevé et d’injustice qui anime la plupart des gens qui se questionnent sur les grandes affaires.
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Plutôt que d’individualiser le phénomène et vouloir que la bêtise motive les questionnements, même les plus farfelus, il s’agirait plutôt de questionner son amplification en sa qualité de symptôme d’une désaffectation populaire toujours plus grande des institutions qui servent à légitilmer l’action des états,
autrement dit : les théories de complots se « légitimisent » corélativement à la perte de légitimité des institutions censée organiser, notamment, la justice.
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Le plus important n’est donc pas de savoir si une théorie de complot est vraie ou pas, puisque c’est impossible à trancher (je parle des non-farfelues), mais de constater l’échec des institutions censée succiter l’adhésion collective.
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Ne pas questionner la qualité de symptôme des théories de complot et rester dans l’individualisation du phénomène c’est « médicaliser » le phénomène, l’assimiler à une forme de névrose et nier les causes qui y conduisent.
Cela contribue à une déresponsabilisation des institutions dont les manquements ou les abus sont justement à l’origine des questionnements
et cela participe à la perpétuation des conditions de ces théorisations de complot puisque la déresponsabilisation éloigne la remise en question des institutions et les réformes qui s’ensuivent normalement.
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Les théories de complots sont tout bonnement les indicateurs de la crise politique que nous vivons.
Et il est bien normal que la classe politique, par le biais des médias, soit de manière générale dans l’expression du déni du phénomène comme symptôme d’un ébranlement du socle des institutions sur lesquelles elle est perchée - c-a-d la confiance, le crédit que concrétise le mandat - et ne cherche qu’à l’aborder comme phénomène individuel (et tout paradoxalement comme un phénomène individuel mais non-isolé ! , ce qui est assez révélateur du déni)
puisque pour la classe politique, le reconnaître serait un aveu d’illégitimité et un premier pas vers la sortie.
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Pour la classe médiatique, c’est plus complexe. Entre l’enquête avec méthode critique et la brêve de comptoir, la carte de presse et le dumping abusif du Web, l’indépendance rédactionnelle et la nécessité de pas déplaire à la classe politique - sa partie au pouvoir - pour continuer à toucher des subsides nécessaires à la survie, l’ossilation ouvre un couloir où le journaliste se cherche une identité actualisée, en creux : « pas complotiste ».
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Stigmatiser le « complotisme » et le « complotiste » est quelque chose d’improductif et tous ces articles qui fleurissent ici et là pour dénoncer le phénomène, plutôt que de s’attarder sur la maladie dont il n’est que le symptôme
(tout comme ces commentaires prétencieux qui pulullent sous ces articles et raillent la bêtise postulée des suppôt des TDC, des commentaires certainement lâchés avec le sentiment de faire oeuvre utile alors que ça fait 10 ans que leur constat est fait et n’est plus à faire : oui des gens abusent des théoriesde complot ! waouhhhh ébouriffant !)
révèlent avant tout la fermeture d’esprit de leurs auteurs aux signaux de l’ère du temps.
Et leur très grande inutilité, car le travail d’un journaliste ou d’un politique ce n’est pas de pointer du doigt pendant 20 ans comme un con un phénomène mais de lui donner sens systémiquement.
Ceux-là compteront très certainement parmi les plus surpris lorsque dans quelques temps le niveau de désaffectation populaire sera tel que de grands changements s’opéreront, et tout cela sans le besoin de leur si grande qualité d’expertise.