Essais de qualification de la cuve de l’EPR (15 mai 2015)
Depuis le 7 avril chacun a pu lire dans la presse de gros titres : l’EPR est-il maudit ? Est-il
condamné ? L’EPR est-il mort-né ? La cuve est condamnée…L’EPR touché au coeur…Le
cauchemar de Flamanville…Un désastre pour le nucléaire…
Ces exemples de titres ne sont pas rassurants et encore ne s’agit-il pas des titres les plus
sadiques et malveillants.
Les journalistes se défoulent sur tous les tons, ce qui n’est guère surprenant dans le contexte
politique actuel et le dénigrement à l’égard de l’industrie nucléaire. Cela est d’autant moins
surprenant que le problème qui a surgi soudainement le 15 avril est fort complexe et que rien n’est
fait par qui que ce soit pour permettre au citoyen d’y voir clair.
Le 7 avril EDF et AREVA ont signalé que lors d’essais pour la qualification du couvercle et du fond
de la cuve de l’EPR de Flamanville l’un des paramètres n’était pas respecté dans une zone
présentant une concentration en carbone plus importante que la moyenne et le jour même l’ASN a
fait état d’anomalies de fabrication de la cuve de l’EPR. Il n’en fallait bien sûr pas plus pour agiter
les media mais l’émoi redoublait de vigueur après la dramatisation déclenchée par P-F Chevet,
président de l’ASN, à l’occasion d’une audition publique le 15 avril devant l’Office Parlementaire
(OPECST), où il a parlé d’anomalies extrêmement sérieuses observées sur la cuve de l’EPR de
Flamanville et la presse a entendu la cuve de l’EPR présente de sérieux défauts de fabrication.
Le sujet est éminemment technique (et même très technique). Il est difficile de le comprendre
malgré les informations disponibles : l’ASN – chiffres à l’appui – a exprimé son point de vue, EDF
ne s’est pas exprimé en public et AREVA a pris position dans les Echos du 30 avril. Les contrôles
de la cuve (fabriquée dans la forge du Creusot d’AREVA) dont les premiers remontent à 6 ou 7
ans et les derniers à 2 ou 3 ont tous été jugés satisfaisants par EDF, AREVA.....et les ingénieurs
des Mines des DRIRE agissant pour le compte de l’ASN. Il y a donc de quoi être étonné : la cuve
est terminée depuis plus de 5 ans et a été réceptionnée en usine en présence des représentants
de l’ASN, elle est maintenant installée dans l’enceinte du réacteur depuis quelques mois et voilà
qu’on y découvrirait des défauts rédhibitoires, décelés dès octobre 2014 pour le couvercle puis en
avril 2015 pour le fond de cuve et curieusement appelées anomalies.
Après les déclarations de P-F Chevet il est bien sûr difficile aux responsables d’EDF et d’AREVA
de se livrer à une joute publique avec leur Autorité de Sûreté. Cependant Philippe Knoche,
Directeur Général d’Areva, dans une tribune courageuse, a défendu la qualité de la cuve et du
travail d’AREVA et exprimé sa confiance totale dans l’EPR et son avenir (ci-dessous). Nous en
extrayons la citation suivante : Y a-t-il eu malfaçon ou compromission avec la sûreté sur l’EPR de
Flamanville ? Jamais. C’est au contraire la vertu et l’exigence du nucléaire français et de son autorité de
contrôle, l’ASN, que d’exposer au grand public leurs dialogues techniques. N’en blâmons pas les acteurs,
reconnaissons au contraire cette transparence. Le couvercle et le fond de cuve ont été forgés il y a plus de
cinq ans, en application de la réglementation de l’époque. Cette réglementation évoluant, les ingénieurs et
les techniciens travaillent désormais à un programme d’essais complémentaires pour démontrer la
conformité des équipements aux nouvelles exigences et apporter les justifications nécessaires. Accordonsleur
de travailler en confiance et sérénité. Aucun d’entre eux n’accepterait la moindre entorse à la sûreté
nucléaire, qui est par ailleurs garantie par l’indépendance de l’Autorité de sûreté.
On commence ainsi à soupçonner de quoi il s’agit : pas d’un défaut de fabrication, Philippe Knoche
l’a dit, mais semble-t-il du problème d’un non-respect local d’une nouvelle réglementation ESPN
(Equipements Sous Pression Nucléaires) encore jamais appliquée en France, n’ayant d’équivalent
nulle part ailleurs au monde, et dont la justification n’apparait pas clairement. Il semble en effet
que, conformément aux dispositions de cette nouvelle réglementation, l’ASN ait demandé que
soient effectuées des mesures destinées à s’assurer que les risques d’hétérogénéité des
matériaux sont bien maitrisés au cours de la fabrication, alors que les pièces ont été réalisées
avant même sa mise en application.
Nous ne sommes pas parvenus à savoir
1) Si cette réglementation ESPN de décembre 2005, extrêmement complexe et d’application
difficile, rédigée à l’initiative de l’ASN afin de compléter le code RCC-M en précisant et en
renforçant certaines exigences de démonstration de la sûreté et de la qualité, a fait l’objet
d’une concertation préalable avec l’ensemble des professionnels concernés. Areva n’a
sans doute pas eu son mot à dire. Rappelons que ce code RCC-M a présidé à la
construction de tous les réacteurs français en exploitation reposant en partie sur le décret
mis à jour en 1999, qui était plus contraignante que la norme ASME d’utilisation quasi
mondiale ;
2) Si cette réglementation ESPN découle ou non d’un retour d’expérience d’exploitation ou
surtout de construction, elle exige des matériaux des propriétés d’homogénéité qu’ils ne
sauraient avoir, en termes de pourcentage d’impuretés ;
3) Si elle apporte un avantage en termes de sûreté ;
4) Pourquoi prescrire dans un arrêté, et sans justification connue, une exigence aussi précise
qu’une résilience (tenue à la rupture du métal soumis à des contraintes physiques) de 60
joules, alors que le décret de 1999 n’en exigeait que 27 et qu’Areva ne sait pas garantir
plus de 37 joules dans certaines zones connues pour présenter de faibles hétérogénéités
(dénommées veines sombres). Les mesures actuelles font d’ailleurs état d’une résilience
comprise entre 37 et 64 joules, donc bien supérieure à l’ancienne norme ainsi qu’une
teneur en carbone dans une carotte un peu supérieure à celle attendue (0,30 % pour une
valeur visée de 0,22 %) ;
5) Pourquoi l’arrêté ESPN, relatif au changement de tenue mécanique des appareils sous
pression, ne mentionne qu’une entrée en application au 1/1/2015, alors que l’ensemble des
dispositions de l’arrêté de 2005 n’ont été notifiées qu’en 2011-2012 et que, pour des pièces
(couvercle et fond de cuve) fondus en 2006 et validés conformes à cette date, l’ASN
semble exiger une application sans réserve à compter du 1/1/2005 ? Pourquoi l’exploitant
EDF n’a-t-il pas demandé une dérogation aux exigences de ce nouvel arrêté avant
d’installer la cuve dans le bâtiment réacteur et de la souder au circuit primaire ?
Le citoyen de bonne foi commence ainsi à subodorer que grâce à des anomalies l’ASN semble
vouloir – sans aucun contre-pouvoir – imposer un oukase, affirmer son autorité et contraindre EDF
et AREVA à se livrer à une épreuve de force pour sauver l’EPR de Flamanville. N’y-a-t-il pas un
flou dans un texte et donc plusieurs lectures possibles ? S’agit-il là du jeu normal entre autorité et
exploitant ? Si on attend de l’autorité qu’elle soit extrêmement vigilante à l’égard des exploitants,
personne n’attend que, par des déclarations dramatiques, elle entretienne ou suscite un certain
doute sur la sûreté des installations.
Pour preuve de la complexité inouïe de ces nouvelles normes, trois générateurs de vapeur
destinés à être installés sur la tranche 3 de la centrale du Blayais, qualifiés RCC-M et donc
fabriquées de façon rigoureusement identique à ceux déjà montés sur la moitié des tranches du
parc EDF, sont bloqués depuis plusieurs mois sur le site, au motif qu’ils ne satisfont pas aux
critères ESPN. Le réacteur à l’arrêt depuis le 25 juillet 2014 n’a pas obtenu en novembre
l’autorisation d’installation des nouveaux échangeurs en lieu et place des anciens déjà déposés.
La situation semble bloquée.
On comprend que cette situation est extrêmement préoccupante pour EDF et pour AREVA : elle
crée des dommages considérables au plan économique, au plan industriel, à l’image des
entreprises dans l’opinion publique et devant ses concurrents internationaux.
Cette question des anomalies de la cuve de l’EPR crée évidemment beaucoup d’émoi chez les
anciens de la communauté nucléaire : certains n’hésitent pas à s’exprimer avec vivacité,
interpellant l’ASN, critiquant un abus de pouvoir, invoquant même parfois la trahison de l’ASN et
envoyant un peu dans toutes les directions des lettres ouvertes où se mêlent à des arguments
techniques le plus souvent fondés des revendications à caractère politique : une Autorité de Sûreté
Nucléaire peut-elle rester indépendante sans aucune forme de contrôle et sans un contrepouvoir
? L’exemple US où une décision de la NRC peut être cassée par la Cour d’Appel du
District de Columbia présente sans aucun doute des vertus dont il conviendrait probablement de
s’inspirer.
Le citoyen ordinaire ne peut que déplorer le manque de transparence dont il est victime.
Bernard Lenail
30/04/2015
29/05 18:49 - Calva76
29/05 18:02 - g.jacquin
@sarcastelle « Accorder la préférence au nucléaire est inacceptable. L’énergie nucléaire (...)
29/05 16:54 - dede
@pierre Vous archivez aussi les commentaires qu’ Olivier supprime allègrement (...)
29/05 16:50 - dede
@olivier cabanel Quelle belle Lapalissade ! Mais que croyez-vous qu’il y ai dans une (...)
29/05 08:01 - Calva76
@olivier cabanel Vous faites du « slam » à présent ? J’ignorais la corde poétique de cet (...)
29/05 07:40 - olivier cabanel
@ tous et ça continue...scram du réacteur n°4 au Tricastin...Montée en charge inexpliquée (...)
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