«
L’Histoire telle qu’il la comprend est celle de l’obturation d’un
premier commencement miraculeux, celui des premiers Grecs : la
tradition judéo-chrétienne, à travers l’helléno-romanisme,
annihilerait toute possibilité de grandeur, détournant les hommes
de l’être au profit du simple...profit, du nivellement par le bas du
dernier homme, de la massification, de la médiocrité, etc. Les
hommes, de plus en plus calculateurs, ne se voueraient désormais
qu’à l’étant et à l’Être de l’étant : au Dieu
judéo-chrétien. L’homme deviendrait, par cette influence, simple
« sujet », en s’« insurgeant » contre l’être, en
l’oubliant. Cette histoire-déchéance est censée dégénérer
jusqu’à enjoindre les hommes à se faire, au bout du « compte »,
les valets de la technique – autant dire de cette « machination »,
cette magouille invisible et surpuissante. »
Vous
présentez cela comme un délire, alors qu’il y a des raisons plus
que soutenables à avancer ce qu’Heidegger formule ici (même si on
peut en discuter). Il est assez clair que le monothéisme judéo-chrétien
opère une inversion des valeurs par rapport aux cultures antiques
car il remplace le renforcement de la force prôné par les
polythéismes païens par une glorification de la faiblesse, de
l’humilité, de la non-autonomie. L’autonomie de l’homme, sa
souveraineté, son pouvoir politique etc. sont autant d’offense
commise à l’égard de la seule souveraineté légitime, celle de
Iavhé. Les hommes qui adhèrent à cette religion ne se vouent plus
qu’au Dieu Unique, qu’à la transcendance estimant par là-même que
l’être du monde est dénoué de toute profondeur. Les racines de la
rationalité technique qui désenchante la nature, prémisse à son
exploitation infinie, peuvent très bien alors être trouvées dans une
telle conception du monde. L’interprétation Heidegger n’est donc pas
délirante ou réductible à un tel mépris.