Suite - Extrait du livre d’Albert Londres, Le juif errant est arrivé
Le 16 août, jour de Mouloud, anniversaire de la naissance
du Prophète, deux mille Arabes de Jérusalem quittent l’esplanade des Mosquées, envahissent l’étroit
couloir dont le Mur est l’un des côtés. Ils brisent la vieille table de bois du
sacristain, déchirent et brûlent les livres de psaumes, arrachent d’entre les
blocs les petits morceaux de papier à quoi les Juifs confient leurs naïves
prières. Ils battent, sur leur chemin, les vieilles robes de soie qu’ils
rencontrent. Le 17 août, dans le quartier Boukhariote, de jeunes juifs jouent
au football. Le ballon, paraît il, tombe en
terre musulmane. Les fellahs
attaquent les joueurs et font des blessés. L’un de ceux-là meurt. On l’enterre
le 21 août. Les Juifs désirent faire passer le mort devant la porte de Jaffa,
comme le veut la coutume quand on honore un mort. La police s’y oppose.
Collision. Vingt Juifs blessés.
Le grand mufti demande un passeport au consulat de France pour aller
respirer l’air sain du Liban. Refusé. Il n’y a toujours que cent quarante
soldats de Sa Majesté en Palestine ! Le vendredi 23 août, jour anniversaire de
la Saint-Barthélemy, l’aurore voit des
foules d’Arabes envahir Jérusalem.
Ils marchent groupés, chaque homme tenant à la main un bâton ou un
poignard lame nue. Ils chantent en entrant dans la ville sainte :
La religion de Mahomet Défend son droit par l’épée, Nous défendons par l’épée
Le prophète Mahomet.
Le grand jour est arrivé. Les tracts lancés par le gracieux jeune homme n’ont
pas manqué leur but. Les manieurs de poignards et les tambours-majors du
gourdin descendent vers la porte de Damas. Ils
passent justement devant les
établissements religieux français, devant
l’hôpital, devant Notre-Dame de France :
La religion de Mahomet Défend son droit par l’épée. Aujourd’hui, enfants du
Christ n’ayez pas peur : l’actualité est aux Juifs... En face de la porte de
Damas s’élève une grande bâtisse style château fort ; ce sont les bureaux du
haut-commissariat anglais.
Six jeunes juifs formant groupe sont là, dehors. Ils feraient mieux de se
retirer, de laisser libre
champ à la vague fanatique. Ils demeurent,
représentant à eux six la révolte de la nouvelle âme juive. Ils en ont assez
d’entendre dire que le Juif ne sait que courber le dos. Un orgueil trop
longtemps contenu leur fait oublier que l’héroïsme ne marche pas toujours de
front avec la raison. L’un des six, un journaliste autrichien, le docteur von
Veisel, refuse de céder un mètre de sol à la colonne qui s’avance. Un
musulman marche sur Veisel. Les deux hommes s’empoignent. Veisel a le dessus.
–Eh bien ! crie-t-il aux quatre soldats anglais et aux policiers qui sont là,
devant les bureaux, l’arme au pied, un homme m’attaque, je le maintiens, venez
l’arrêter ! Les agents de l’autorité ne bougent pas. Deux Arabes se détachent à
leur tour et poignardent Veisel dans le dos. Les représentants de la loi
contemplent le spectacle ; ils ne froncent même pas les sourcils.
Pourquoi, alors, se gênerait-on
? Et les musulmans se précipitent sur les Juifs
surpris par l’événement. Tous ceux qui passent y « passent ».
Plus on tue de Juifs, plus la police demeure immobile. Quant au
haut-commissariat anglais, il est parti se promener dans les airs, comme un
Zeppelin ! Du moins peut-on le supposer, puisque personne, depuis trois
semaines, n’entend plus parler de lui !
(à suivre)