Suite - Extrait du livre d’Albert Londres, « Le juif errant est arrivé »
Lisez. Une cinquantaine
de Juifs et de Juives s’étaient
réfugiés, hors du ghetto, à la Banque anglo-palestinienne, dirigée par l’un des
leurs, le fils du rabbin Slonin. Ils étaient dans une pièce. Les Arabes, les
soldats du grand mufti, ne tardèrent pas à les renifler. C’était le samedi 24,
à neuf heures du matin. Ayant fait sauter la porte de la banque... Mais voici
en deux mots : ils coupèrent des mains, ils coupèrent des doigts, ils
maintinrent des têtes au-dessus d’un réchaud, ils pratiquèrent l’énucléation
des yeux. Un rabbin, immobile, recommandait à Dieu ses Juifs : on le scalpa. On
emporta la cervelle. Sur les genoux de Mme Sokolov, on assit tour à tour six
étudiants de la Yeschiba et, elle vivante, on les égorgea. On mutila les
hommes. Les filles de treize ans, les mères et les grand-mères, on les bouscula
dans le sang et on les viola en chœur.
Mme X... est à l’hôpital de Jérusalem. On a tué son mari à ses pieds, puis
saigné son enfant dans ses bras. « Toi,
tu resteras vivante... » lui répétaient ces
hommes du vingtième siècle ! Aujourd’hui, elle regardait par la fenêtre, d’un
regard fixe et sans larme !
Le rabbin Slonin, si noir, si Vélasquez, est là aussi. Il
parle :
–Ils ont tué mes deux fils, ma femme, mon beau-père, ma belle-mère.
Ce rabbin dit cela naturellement, d’une voix de greffier lisant un rapport.
Mais il va pleurer :
–En 1492, ajoute-t-il, les
Juifs chassés d’Espagne avaient apporté un rouleau de la Loi à
Hébron, un saint rouleau, une divine thora. Les Arabes ont brûlé ma thora. Et
le rabbin Slonin essuie deux larmes sur ses joues d’acier bruni.
Vingt-trois cadavres dans la pièce de la banque. Le sang recouvre encore le
carrelage comme d’une gelée assez épaisse.
La religion de Mahomet Défend son droit par l’épée.
Et vous n’avez nulle idée de la grâce, de la jeunesse, de la douceur, du
charme et du teint clair du grand mufti...
Suite : le pogrom de Safed
Safed est en
Haute-Galilée, à mille mètre dans les airs. Trois cônes de montagnes coiffés de
maisons, les maisons fardées au lait de chaux, lait de chaux bleu, ou rose, ou
jaune, ou blanc. Au loin, dans un trou, deux cents mètres plus bas que le
niveau de la mer, un miroir en forme de lyre : le lac de Tibériade. Miroir !
Lyre ! Tendres couleurs ! Attendez.
Comme ceux d’Hébron, les Juifs de Safed sont des Juifs de l’ancien temps
cultivant... le Zohar ! Vieux hassidistes, ils chantent et dansent en l’honneur
du Seigneur. Ceux qui, en supplément, tiennent des boutiques dans le ghetto ont
fermé leurs boutiques depuis six jours. Nous sommes au 29 août. Ils ne veulent
pas exciter les Arabes qui, depuis le 23, se promènent processionnellement
poignard et gourdin à la main, et aux lèvres le serment de tuer bientôt les
Juifs. Depuis six jours ? Alors, et les Anglais ? Interrogés, ils répondent de
Jérusalem que tout va bien. Le 29 août...
Mais voici l’histoire telle qu’on me la conte dans les rues du ghetto de Safed,
cure d’air :
–Pardon, monsieur, je suis le fils du vice-consul de Perse...
–Parfaitement ! répondis-je à
ce jeune homme. Ils ont bien arrangé votre maison.
–J’étais en vacances chez mes parents. Je fais mes études en Syrie chez les
pères français d’Antoura. Depuis dix jours, les Arabes...
–Je sais. Après ?
–Alors, le 29, nous étions tous réunis à la maison. Nous entendons frapper. Mon
père va à la fenêtre. Il voit une cinquantaine d’Arabes. Que voulez-vous, mes
amis ? leur demande-t-il.
–Descends ! Nous voulons te tuer avec ta famille.
Mon père les connaît presque tous. Comment ? Vous êtes mes voisins ; je vois,
dans votre groupe, plusieurs de mes amis. Depuis vingt ans, nous nous serrons
la main. Mes enfants ont joué avec vos enfants.
– Aujourd’hui, il faut qu’on te tue !