@Fabien Sabinet
Attention à ne pas se méprendre sur la pensée kantienne. Le fait que, pour Kant, le temps et l’espace (car oui, l’espace aussi se trouve dans ce cas de figure) n’existent que dans notre conscience n’a rien de prétentieux. Au contraire, c’est l’hypothèse la plus raisonnable et prudente qu’on puisse faire dans l’optique de l’enquête qui est menée dans la Critique de la raison pure, qui consiste à déterminer ce que l’esprit humain peut connaître à partir de sa seule raison. Kant tranche habilement entre les idéalistes, partisans de l’existence des idées innées, et les empiristes, pour lesquels l’esprit humain est à la naissance une table rase, et qui forme ensuite des idées uniquement à partir de ses sensations. L’apport de Kant consiste à dire que l’esprit humain ne contient pas d’idées innées, mais que la forme qu’il donne à sa perception est déterminée a priori par l’espace et le temps. L’espace et le temps ne sont en effet pas perçus directement, mais sans au moins un des deux on ne peut se représenter aucun phénomène. Puisque le monde ne nous est connu que par l’intermédiaire de nos perceptions, et que ces perceptions ne sont possiblement formées que dans le temps et l’espace, il nous est impossible de connaître ce qu’est le monde tel qu’il est, indépendamment de tout observateur. À toute représentation, à tout phénomène, est associée une chose en soi qui est inconnaissable. Par conséquent, que le temps et l’espace soient des formes existant uniquement dans notre esprit n’est pas un pouvoir démesuré attribué à l’homme, mais une faiblesse, un palliatif à l’impossibilité de connaître les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes. Mais si Kant a innové dans la formulation de cette hypothèse, ce n’est pas le premier à dire en substance la même chose. Déjà chez Platon, le temps n’est que l’image mobile de l’éternité immobile des Idées, chez Spinoza le temps n’est qu’un mode de la pensée. La pensée que le temps n’a pas d’existence extrinsèque, et ne découle que d’une incapacité à percevoir les choses sous le point de vue de l’éternité où le présent, le passé et le futur sont simultanés, est assez commune.
Cependant, pour des applications pratiques qui ne nécessitent pas de savoir ce qu’est le temps, mais seulement de fournir un modèle qui rende compte de la manière dont le temps agi, le modèle newtonien du temps absolu est excellent. Le temps aristotelicien, mesure du mouvement, est nettement moins performant d’un point de vue scientifique car il ne permet pas de traiter le temps comme une variable comme dans l’équation d’une trajectoire par exemple.