Shawford, je vous remercie pour cette mise au
point.
Isga, je vous remercie pour cette occasion
d’explication... d’un sujet totalement différent.
Autant qu’il est difficile d’évoquer l’Amérique au
16° siècle sans parler de l’Espagne ou la culture au 18° siècle sans parler de
la France, il est impossible d’évoquer l’économie au 20° siècle (dont ce début
de 21° n’est sur le plan économique qu’une extension) sans parler des Etats-Unis
d’Amérique. Quant aux explications périphériques des régulières « crises » (qui
n’en sont pas) mondiales, qu’elles concernent l’insolvabilité des starteupes
internet étatsuniennes, l’insolvabilité des acheteurs immobiliers étatsuniens,
l’insolvabilité des jeunes diplômés étatsuniens, l’insolvabilité du secteur
pétrolier étatsunien ou l’insolvabilité des groupes financiers étatsuniens (j’en
oublie certainement), elles ne sont que des manifestations du surendettement des
Etats-Unis. Par ailleurs il ne faut surtout pas confondre capitalisme et
entreprise privée. L’entreprise privée a toujours existé et elle est un gage
d’efficacité car on cherche toujours à faire fructifier ce qu’on a construit ou
qu’on possède, qu’il s’agisse d’une activité personnelle comme la plomberie ou
l’odontologie qui s’arrêtera de produire quand on s’arrêtera d’y
travailler, d’un petit atelier ou commerce qu’on pourra transmettre à ses
enfants pour y travailler et en vivre à leur tour, ou d’une petite entreprise
telle qu’il en existait en France avant le matérialisme intégral et le
capitalisme (c’est-à-dire la Révolution), du temps où il n’existait que des
sociétés de personnes où l’anonymat était interdit et la spéculation sur les
titres de propriété impossible en raison du caractère incontournable de
l’intuitu personae (cooptation des membres). La société à responsabilité limitée
(aux apports) préfigurait peut-être déjà l’irresponsabilité. Mais le capitalisme
est né avec les sociétés de capitaux (vous semblez porté sur l’idéologie mais il
se trouve que le droit les appelle ainsi), déresponsabilisé avec la garantie de
l’anonymat (sociétés anonymes) facilitant la spéculation par la possibilité de
revendre ou regrouper des parts à l’insu des autres copropriétaires. Evidemment
les dégâts se sont surtout manifestés avec le gigantisme qui a transformé
d’anciennes entreprises (au sens étymologique et historique d’entreprendre,
c’est-à-dire de lancer une inititative individuelle risquée et donc mesurée) en
nouvelles institutions que vous appelez privées mais qui sont en fait
collectives, avec le sentiment d’irresponsabilité personnelle que garantit
justement la collectivité. Les gestionnaires n’en sont plus que des
fonctionnaires, exerçant une fonction souvent calibrée par un volume horaire et
des compétences, au lieu d’être investis par d’autres personnes (physiques, une
« personne morale » n’étant en réalité qu’un sujet impersonnel de droit) d’une
mission comme un véritable mandataire social au sens de la commandite, ou
d’avoir pris eux-mêmes un engagement personnel (et économique) en vue d’une
finalité plutôt que d’une fonction, où la motivation compte bien plus que la
compétence et où les horaires ne sont évidemment pas comptés. Les hauts
dirigeants, quant à eux, n’ont de mandataires sociaux que le nom puisqu’ils sont
mandatés par un conseil d’administration constitué de représentants du capital,
ce qui est très différent des représentants de la société qu’on trouve, par
exemple, dans la commandite par actions. Les objectifs qui leur sont fixés sont
donc des objectifs de rentabilité des capitaux investis, sans considération de
la pérennité de la structure puisque ces capitaux ne sont pas liés à des
personnes ou à une activité et peuvent aller ailleurs du jour au lendemain, ce
qui priorise les résultats (strictement financiers) à court terme. Voilà le
capitalisme dans son stade d’achèvement actuel. Le prétendu capitalisme social, où les parts de l’entreprise sont
détenues par les employés (par exemple suite à un sauvetage par rachat), n’est
pas réellement du capitalisme puisqu’un lien social est rétabli entre le travail
et le capital et de ce fait entre les membres sociaux qui se connaissent et ont
un projet commun, ce qui, nonobstant le statut juridique de l’institution, en
fait une société de personnes.
Sauf erreur on n’a jamais décidé formellement que
le système économique serait celui-ci ou celui-là. La propriété privée, née de
l’intiative individuelle, a toujours existé, mais de nouveaux statuts juridiques
d’institutions, peut-être induits à un certain moment par le souci de faciliter
l’émergence de plus grosses structures productives, ont permis la constitution
d’institutions collectives opaques par anonymisation. Il ne faut surtout pas
confondre capitalisme et propriété privée, puisqu’une structure capitaliste est
par définition une propriété collective, de même qu’il ne faut pas le confondre
avec économie de marché ou liberté d’entreprendre, qui sont encore des notions
distinctes, dont certains idéologues induisent la confusion pour faire croire
qu’on ne peut changer l’eau du bain sans jeter le bébé.
Quant à déclarer que la monnaie n’a qu’un rôle tout
à fait secondaire dans le capitalisme ce serait délicat à prouver. Autant dans
une société de personnes on peut définir les parts entre les associés en valeur
relative, par exemple un cinquième pour Pierre ou cinq dix-huitièmes pour Paul,
autant dans une société de capitaux, où l’apport est effectué en valeur absolue
(l’apport « en industrie » ou en travail n’y étant pas prévu), où la libre entrée
et sortie de capitaux à tout moment nécessite une évaluation permanente, et où
parfois l’appel aux capitaux se fait en bourse, il est difficile d’imaginer
qu’on pourrait ne pas évaluer la valeur des parts de capitaux en numéraire,
c’est-à-dire en monnaie, cette unité de compte nationale ou
internationale.
Reformulant donc mon introduction, je concède que
le capitalisme ne s’écroulera peut-être pas mais je réitère que le monde
capitaliste devra bien à un certain moment constater sa ruine, ce qui était mon
propos principal.