Eric Conan, L’Express du 09/04/1998
Une peine de dix ans de prison pour un homme de 87 ans et cinquante-cinq ans après les faits, c’est une grande victoire ! Et, croyez-moi, cela n’a pas été facile ! »
Les premières paroles d’Arno Klarsfeld après le verdict de Bordeaux mettent un terme aux inquiétudes de son père, Serge Klarsfeld, qui n’a jamais voulu du procès Papon parce qu’il pensait que le « rôle quasi anecdotique » du secrétaire général de la préfecture de la Gironde rendait sa condamnation aléatoire.
Ce procès ayant fini par s’ouvrir à cause de l’obstination de Me Gérard Boulanger, Serge et Arno Klarsfeld s’étaient résolus à y participer, mais pour « éviter le pire ».
Le verdict de la cour d’assises constitue leur triomphe, la peine prononcée étant celle - « au moins dix ans » - qu’ils avaient réclamée par voie de presse. Ils auront, à cette fin, utilisé tous les moyens, méprisant le débat judiciaire - Arno Klarsfeld n’était même plus présent aux audiences au cours des dernières semaines - au profit d’une intense pression médiatique et psychologique sur la cour d’assises et sur son président.
Serge Klarsfeld a d’ailleurs attribué le verdict final à son agit-prop, qui a, selon lui, obligé Jean-Louis Castagnède, accusé d’ « œuvrer à l’acquittement », à « prendre une direction différente de celle qu’il voulait imprimer au procès ».
Maurice Papon est donc condamné et, chez les parties civiles qui demandaient la perpétuité, le soulagement général l’a emporté sur la déception. L’essentiel est d’avoir évité cet acquittement dont le pressentiment, au cours des dernières semaines, obsédait ceux qui suivaient les audiences de Bordeaux. Pour les familiers du dossier Papon, cette envie - réprimée - d’acquittement apparaît nettement dans les détails du verdict. Il reprend en effet le réquisitoire du parquet de 1995, rédigé par l’avocat général Defos du Rau, dont la conclusion prévue - une requête de non-lieu - fut modifiée par le procureur général Henri Desclaux, qui demanda le renvoi devant les assises.
Comme ce réquisitoire, le verdict ne retient plus que quatre convois (sur dix) à la charge de Maurice Papon, et surtout l’acquitte de l’incrimination essentielle de « complicité d’assassinat », admettant sur ce point la démonstration de Me Jean-Marc Varaut.
Pour l’accusation, c’est un démenti cinglant : il ne reste rien de l’arrêt de renvoi de la cour d’appel de Bordeaux, qui, au prix d’affirmations inexactes et fantaisistes, inventait un secrétaire général au fait des projets des nazis et empressé d’aller au-devant d’eux.
La cour d’assises adresse aussi un pied de nez magistral au procureur général Henri Desclaux et à l’avocat général Marc Robert, qui, à l’audience, avaient renié leur réquisitoire de 1995 pour défendre la thèse peu crédible de la cour d’appel. Avec eux, c’est tout un portrait de l’accusé - fonctionnaire zélé et assassin d’enfants - qui est rejeté par la cour d’assises.
Mais les jurés ne voulaient pas aller jusqu’à l’acquittement. Ecartelés entre la demande de condamnation cristallisée sur la personne de Maurice Papon par des victimes dont la souffrance et les paroles restent les moments forts des audiences et les arguments de droit de Jean-Marc Varaut, ils étaient, de surcroît, pris au piège du symbolisme de ce procès : on n’a cessé de leur répéter que la condamnation de Vichy dépendait de celle de Maurice Papon. D’où ce compromis, qui, « en ne voulant décevoir personne, déçoit tout le monde », comme l’a dit l’Union des étudiants juifs de France.
Sur le plan du droit, la décision de la cour d’assises manque de logique. Elle a, en effet, acquitté Maurice Papon de la « complicité d’assassinat » au motif que, s’il avait conscience que les juifs allaient vers un « sort cruel » et, pour beaucoup d’entre eux, vers la « mort », il n’avait pas connaissance du « plan concerté » nazi. Mais, pour qu’il soit - un peu - condamné, la cour estime en revanche que les « arrestations » et les « séquestrations » auxquelles il a pris part peuvent être qualifiées de crimes contre l’humanité parce qu’il savait qu’elles s’intégraient dans un plan concerté...
Les juges ont esquivé le vrai débat de droit que leur offrait la confrontation entre Jean-Marc Varaut, qui considérait que la complicité de crime contre l’humanité nécessitait une adhésion personnelle aux objectifs des nazis, et Michel Zaoui et Alain Lévy, qui demandaient à la cour d’assises d’innover en affirmant que la culpabilité, ne devant pas s’apprécier acte par acte, comme dans une affaire de droit commun, résultait de la participation consciente et assumée à un processus collectif dont l’aspect criminel était évident. Mes Zaoui, Lévy et Varaut, qui n’ont pas ménagé leur présence ni leurs efforts pour présenter cette alternative de haute tenue à la cour, apparaissent comme les grands perdants de ce procès. Après avoir assumé l’essentiel du débat judiciaire, ils découvrent que leur énorme investissement fut vain, la cour d’assises ne semblant pas partager leur amour du droit.
Pour ce qui est des leçons de Bordeaux, le symbolisme du procès est pris en défaut, comme le note le correspondant du quotidien israélien Haaretz : « Les organisations juives se sont rendu compte qu’elles avaient commis une grave erreur en présentant le procès de Maurice Papon comme celui de Vichy. »
Au terme de six mois de débat, la plupart des avocats ont eu beau insister dans leurs plaidoiries sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’histoire, mais du « procès d’un homme », il était trop tard. Comment justifier alors de l’importance de ce procès filmé pour l’Histoire s’il ne concerne qu’un individu ?
Enfin, si l’on veut bien ne pas faire semblant de l’ignorer, l’énoncé du verdict a une signification historique contraire au but recherché. « Cette condamnation symbolique démontre que le peuple français tient les gouvernants de Vichy et leurs fonctionnaires pour pleinement responsables de la déportation des juifs de France », a précisé un communiqué du Crif. Cela voudrait-il donc dire que les « gouvernants de Vichy » ne seraient coupables que de complicité d’ « arrestations » et de « séquestrations » ? C’est une formidable régression par rapport aux acquis d’une historiographie qui a établi à l’encontre du régime de Pétain une responsabilité bien supérieure. En effet, si l’on peut, comme l’a fait la cour d’assises, accorder à Maurice Papon le bénéfice du doute quant à sa connaissance de la Solution finale, les historiens nous ont appris depuis longtemps qu’un Pierre Laval ou un René Bousquet ne pouvaient, eux, prétendre à cette ignorance en 1943 ou en 1944. Persister à vouloir donner une valeur symbolique au verdict de Bordeaux conduit paradoxalement à « dédouaner Vichy », comme l’a noté Me Raymond Blet.
A cette régression historique s’ajoute une régression politique par rapport au discours prononcé par Jacques Chirac en 1995. Lequel avait le mérite supplémentaire de condamner tout à la fois la participation de Vichy au judéocide nazi et sa propre politique antisémite. Or ce fut l’une des leçons de Bordeaux que de constater que le statut des juifs, l’ « aryanisation » et la mise au ban de toute une partie des Français par des Français paraissent beaucoup plus incompréhensibles et aussi condamnables que l’organisation de convois de déportés. Le président Castagnède a maintes fois souligné que cet apartheid antijuif, qui pèse lourd dans le poids de ces années noires, ne pouvait relever de la sanction judiciaire. C’est pourquoi Serge Klarsfeld, estimant la déclaration qu’il avait obtenue de Jacques Chirac en 1995 bien plus significative que ce procès ambigu, vient de l’éditer et de la faire distribuer un peu partout. Il est en effet probable que ce discours prononcé par le plus haut magistrat de l’Etat passera mieux à la postérité qu’un procès avec lequel les historiens pourraient se montrer, plus tard, aussi sévères que nous le sommes aujourd’hui envers ceux de l’épuration.
19/09 14:16 - jameleddine
Que les propos du désormais défunt Barre choquent, cela n’a rien de choquant. Ce qui (...)
02/04 01:49 -
Non ce n’est pas André Malraux, mais Henri de Montherlant qui a écrit que « la vieillesse (...)
02/04 01:32 -
Monsieur Barre est un démocrate courageux. Ses propos sont complexes et il faut faire la part (...)
21/03 12:04 - Argo
A la lecture des ces post, j’ai du mal à comprendre. Est ce M Papon qui est coupable ? Ou (...)
18/03 15:31 -
Papon a été jugé très lontemps après les faits. Curieux, les mêmes qui appouvent le procès de (...)
16/03 12:54 - David C.
Bonjour à tous ! Je ne réagis que très peu souvent sur des forums, jugeant l’utilité de (...)
Agoravox utilise les technologies du logiciel libre : SPIP, Apache, Ubuntu, PHP, MySQL, CKEditor.
Site hébergé par la Fondation Agoravox
A propos / Contact / Mentions légales / Cookies et données personnelles / Charte de modération