@alinea
Bonjour, Alinéa. Voici un sujet bien grave aujourd’hui, un sujet qui nous concerne tous et c’est pourquoi je ne peux pas penser qu’il soit hors de l’organisation sociale et de la politique, mais laissons les de côté puisque les commentaires que j’ai lus jusqu’ici sont plutôt des témoignages ou des avis personnels. Je pense que réfléchir ensemble peut aider chacun à prendre une décision dans ce domaine ou à n’en prendre aucune.
Pour moi, le choix est fait depuis le décès de mon père. Il souffrait, c’était évident, lorsque nous l’avons vu le soir précédent. Il avait 87 ans mais n’avait pas une maladie mortelle par définition. Personne n’a averti la famille ce soir-là. Rongé par une mycose qui avait envahi son corps, il ne pouvait rien avaler. Le lendemain matin, l’hôpital a prévenu ma mère par téléphone de son décès.
Il était méconnaissable, le teint jaune cireux, le nez pincé, les joues creusées, la souffrance imprimée sur chaque ride de son visage. Les médecins avaient décidé d’arrêter les soins et l’alimentation. Une infirmière m’a soufflé dans l’oreille « Votre Papa est mort de faim et de soif. » C’est une agonie horrible.
Pendant les vingt ans qui ont suivi, lorsque j’ai pensé à mon père, c’était toujours cette image qui envahissait ma tête. En 2007, c’est moi qui ai frôlé la mort et, alors que les médecins m’injectaient des produits qui faisaient soulever mon corps pour activer le coeur, je voyais les visages de mes filles complètement retournées et j’ai pensé à l’image de Papa. Je devais les aider et j’ai fait l’idiote pour essayer de ramener une lueur dans leurs yeux : « Je m’envole » « Je m’en vais vers Mars » « Ca y est, j’ai
découvert les secrets de la lévitation »... Voilà et je suis toujours là avec un petit moteur pour stimuler le palpitant et une vieille carcasse en mauvais état, mais toujours à « faire l’idiote » pour mes enfants.
Depuis ce jour, je peux penser à mon père tel que je l’avais connu vivant, un poète étourdi, d’une grande culture, cruciverbiste acharné, chansonnier et raconteur de blagues dans nos repas de famille.
J’espère donc ne jamais laisser à mes enfants et petits-enfants le souvenir d’un masque de mort cruelle et violente, tout pouvoir arrêter avant, j’ai pensé à garder un petit outil tranchant pour ôter
le stimulateur cardiaque dont je suis totalement dépendante si aucun soignant ne veut m’aider pour une mort rapide. Avec l’accord de ma famille, j’ai donné mon corps à une école de chirurgie. Ma tête de cochon veut résister à l’échéance de la nature : encore six mois à être utile ! Après mes cendres iront se mêler aux herbes d’un petit jardin de l’école pour, j’espère, nourrir un peu la planète.