@Robin Guilloux
Sans Lévinas qui l’a fait connaître assez vite au public français, Husserl nous serait probablement arrivé plus tardivement, et on lui doit donc beaucoup, mais j’ai toujours eu un peu de mal à le lire, peut-être parce que depuis peut-être quarante ans, étant athée autant qu’on peut l’être, j’ai toujours trouvé mieux à faire que relire la Bible ; il le faudrait pourtant.
SI les chrétiens qui se mêlent de phénoménologie m’exaspèrent, Lévinas, que je trouve beaucoup plus subtil, m’embarrasse seulement un peu, peut-être parce qu’il me renvoie à mes propres ignorances, celle en particulier du Talmud, beaucoup plus proche de la philosophie que le monstrueux bricolage conceptuel de la théologie chrétienne. Mais depuis que Lévinas est à la mode et que sa thématique du visage se trouve partout reprise et commentée au point d’en devenir une véritable tarte à la crème - sans que sa pertinence m’ait jamais paru bien évidente -, ma paresse à le relire s’en trouve augmentée.
C’est que je n’ai jamais très bien compris l’intérêt de la notion de transcendance. C’est un terme au fond assez creux quand il est sans complément, où chacun peut fourrer ce qu’il se sent incapable d’exprimer et qu’il vaudrait peut-être mieux taire, selon le bon conseil de l’homme du « Tractatus ». La phénoménologie husserlienne fait très bien l’économie de la transcendance, résiste par l’epochè à la tentation d’hypostasier, et il me semble qu’à partir du moment où, par impatience de se prononcer sur la nature du réel on renonce à cet équilibrisme sceptique, on se casse la gueule dans les fossés d’un naturalisme des plus naïfs que Husserl s’est toujours employé à démystifier.