En septembre 1995, tout
était déjà dit et annoncé :
- deux dixièmes ;
- tittytainment.
Du 27 septembre 1995 au
1er octobre 1995, à San Francisco, le grand hôtel
Fairmont accueille 500 membres de l’élite mondiale :
chefs d’Etat, hommes politiques, dirigeants d’entreprises
multinationales, universitaires, chercheurs, etc.
Cette réunion du
Fairmont se déroule dans le cadre de la fondation de Mikhaïl
Gorbatchev. Elle a une grande importance historique. Elle fait
intervenir Mikhaïl Gorbatchev, George Bush père, George Schultz,
Margaret Thatcher, Ted Turner de l’entreprise CNN, John Gage de
l’entreprise Sun Microsystems, ainsi que des dizaines d’autres
personnalités de tous les continents. Elle a pour thème « l’avenir
du travail ».
Citation :
« L’avenir, les
pragmatiques du Fairmont le résument en une fraction et un
concept : « Deux dixièmes »
et « tittytainment ».
Dans le siècle à venir,
deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir
l’activité de l’économie mondiale. « On n’aura pas
besoin de plus de main d’œuvre », estime le magnat
Washington Sycip. Un cinquième des demandeurs d’emploi suffira à
produire toutes les marchandises et à fournir les prestations de
services de haute valeur que peut s’offrir la société mondiale.
Ces deux dixièmes de la population participeront ainsi activement à
la vie, aux revenus et à la consommation – dans quelque pays que
ce soit. Il est possible que ce chiffre s’élève encore d’un ou
deux pour cent, admettent les débatteurs, par exemple en y ajoutant
les héritiers fortunés.
Mais pour le reste ?
Peut-on envisager que 80 % des personnes souhaitant travailler se
retrouvent sans emploi ? « Il est sûr, dit l’auteur
américain Jeremy Rifkin, qui a écrit le livre La Fin du travail,
que les 80 % restants vont avoir des problèmes considérables. »
Le manager de Sun, John Gage, reprend la parole et cite le directeur
de son entreprise, Scott McNealy : à l’avenir, dit-il, la
question sera « to have lunch or be lunch » :
avoir à manger ou être dévoré.
Cet aréopage de haut niveau qui était
censé travailler sur « l’avenir du travail » se
consacre ensuite exclusivement à ceux qui n’en auront plus. Les
participants en sont convaincus : parmi ces innombrables
nouveaux chômeurs répartis dans le monde entier, on trouvera des
dizaines de millions de personnes qui, jusqu’ici, avaient plus
d’accointances avec la vie quotidienne confortable des environs de
la baie de San Francisco qu’avec la lutte quotidienne pour le
survie à laquelle doivent se livrer les titulaires d’emplois
précaires. C’est un nouvel ordre social que l’on dessine au
Fairmont, un univers de pays riches sans classe moyenne digne
de ce nom – et personne n’y apporte de démenti.
L’expression « tittytainment »,
proposée par ce vieux grognard de Zbigniew Brzezinski, fait en
revanche carrière. Ce natif de Pologne a été quatre années durant
conseiller pour la Sécurité nationale auprès du président
américain Jimmy Carter. Depuis, il se consacre aux questions
géostratégiques. Tittytainment, selon Brzezinski, est une
combinaison des mots entertainment et tits, le terme
d’argot américain pour désigner les seins. Brzezinski pense moins
au sexe, en l’occurrence, qu’au lait qui coule de la poitrine
d’une mère qui allaite. Un cocktail de divertissement abrutissant
et d’alimentation suffisante permettrait selon lui de maintenir de
bonne humeur la population frustrée de la planète. »
(Hans-Peter Martin,
Harald Schumann, Le piège de la mondialisation, Solin Actes
Sud, p.12)
http://www.placedeslibraires.fr/livre/9782742731046-le-piege-de-la-mondialisation-martin/
En août 2007, Zbigniew
Brzezinski deviendra le conseiller du candidat démocrate Barack
Obama. En janvier 2009, Barack Obama sera élu président des
Etats-Unis.
http://thecaucus.blogs.nytimes.com/2007/08/24/brzezinski-offers-support-for-obama/?_r=0
En septembre 1995, pour
empêcher les 80 % de la population de se révolter et de faire la
révolution, Zbigniew Brzezinski déclare qu’il faut leur donner du
« tittytainment ». Cette expression
« tittytainment » me rappelle Juvénal quand il
parlait du peuple romain :
« Depuis qu’il
n’y a plus de suffrages à vendre, [le peuple romain] n’a cure de
rien ; lui qui jadis distribuait les pleins pouvoirs, les
faisceaux, les légions, tout enfin, il a rabattu de ses prétentions
et ne souhaite plus anxieusement que deux choses : du pain et
des jeux ! »
(Juvénal, Satires,
traduction Pierre de Labriolle et François Villeneuve, Les Belles
Lettres, p.127)