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Récupération et usage du mythe par les nazis
Ian Kershaw souligne que Adolf Hitler, démobilisé et revenu à Munich à la fin novembre 1918, est alors témoin des évènements politique en Bavière, alors que l’Allemagne est en pleine révolution. La judéité de Kurt Eisner,
chef du gouvernement socialiste bavarois et le fait que de nombreux
militants socialistes soient des Juifs originaires d’Europe de l’Est et
sympathisants des bolcheviks, marquent aussi bien Hitler que la majorité
des nationalistes allemands de l’époque. Dans l’imaginaire de cette
famille politique, les Juifs et les marxistes sont en partie amalgamés
et collectivement associés au mythe du « coup de poignard dans le dos » qui aurait causé la défaite de l’Empire allemand97. Lancée par Ludendorff, cette idée prétend expliquer la défaite allemande et le « diktat de Versailles » par l’association des Juifs et de la révolution, comme une « preuve » de l’existence d’un projet juif de domination mondiale, dans la ligne des « révélations » des Protocoles des Sages de Sion.
Michael Kellog98 insiste sur l’idée selon laquelle les Russes blancs auraient apporté au nazisme la « lecture
apocalyptique de la menace mondiale juive concrétisée par la prise de
pouvoir du judéo-bolchevisme en Russie, idée qui aurait été absente chez
Hitler avant 1919 »99. Henri Rollin
rapporte qu’aux débuts du mouvement national-socialiste on retrouve,
parmi les Russes blancs gravitant dans l’entourage de Hitler et de
Ludendorff, le colonel Winberg et le lieutenant Chabelski-Bork, deux des
importateurs des Protocoles des Sages de Sion en Allemagne100.
(...)
Le mythe du judéo-bolchevisme fait partie intégrante de la propagande nazie, avant et après l’arrivée de Hitler au pouvoir. Le 11 septembre 1935, quelques semaines après le Congrès de l’Internationale communiste à Moscou, Rudolf Hess dénonce « la collusion des Juifs avec le « communisme mondial » » 105
et accuse les Juifs de répandre des calomnies sur l’Allemagne par le
biais des organisations communistes. Hitler lance ensuite le processus
qui conduit à l’adoption des Lois de Nuremberg.
Pour Lionel Richard, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne au XXe siècle, « l’antisémitisme
basé sur des théories raciales [rejoint] l’antijudaïsme chrétien
séculaire, par le biais de la lutte contre le communisme. » L’expression reprise par les nazis de judéo-bolchévisme assimile le « communiste » au « Juif ».
Dans la société allemande, cela permet d’associer les Églises
chrétiennes, très anticommunistes, à l’antisémitisme pour lequel elles
pouvaient avoir des réticences106.