@l’Ane Artiste
Je ne vous contredirai pas. Quand la télévision montre -j’ai vu ça plusieurs fois- les fidèles du dieu Apple faire la queue dès avant l’aube le jour de la sortie de quelque nouveau gadget téléphonique périmé dans moins d’un un an, je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. C’est d’une bêtise abyssale, mais je ne vois pas un dévot de cette nouvelle religion (parmi tant d’autres !) se précipiter demain sur un promeneur pour lui planter un couteau entre les omoplates en criant : « Apple est grand ! ». Je ne vois pas non plus un fanatique du dieu « Bio » tenter la même opération sur ma personne dans un supermarché si je rigole de sa quête et si je lui dis que les obsédés de la santé sont les plus incurables des grands malades.
Qu’est-ce qu’il y a d’intéressant dans la vie, une fois qu’on a compris qu’elle est brève et qu’il n’y en aura pas d’autre ? La connaissance et l’étude, même si cela ne sert pas à grand chose au bout du compte et ne nous empêchera pas de finir entre les planches du cercueil, mais il n’y a pas beaucoup de monde que ces sortes de difficultés puissent exciter. La plupart rêveront toujours d’une vie meilleure, et si ce n’est dans cette vie, du moins dans une autre dont la possibilité resterait à prouver. Hélas, les preuves fantaisistes et les miracles extraordinaires dont l’homme du moyen-âge se repaissait encore ne peuvent plus tellement faire recette. Reste donc le divertissement dont parlait Pascal, qui permet d’oublier qu’on est vivant mais que cela ne durera pas. Il est quand même plus facile de passer une après-midi sur une console de jeu, de traverser nuitamment Paris en meute sur patins à roulettes, que d’essayer de comprendre quelque chose aux mathématiques ou à la phllosophie. Paul Valéry termine son admirable « Cimetière marin » par ce vers : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre », et on pouvait voir naguère au grand Palais une exposition organisée par Houellebecq sur le thème « Rester vivant ». Cela reflète, malgré les guerres et les horreurs de l’histoire, le souci premier d’une civilisation occidentale qui sut ratatiner les deux grands totalitarismes mortifères que furent le communisme et le nazisme . Ce qu’on voit en face de nous, désormais, c’est une nouvelle fois tout le contraire de ce droit à la vie qui reste le bien le plus précieux, et même si la plupart des hommes ne savent pas trop quoi faire de leur existence. Le nihilisme qui refait surface tente une fois encore d’imposer une préférence à la mort. « Viva la muerte ! ». C’était le cri de guerre des fascistes espagnols, et voilà que ça recommence. Mais on en viendra à bout, nécessairement.