Il faut déjà définir ce qui est naturel chez l’être humain. Est-ce que le naturel est ce qui se manifeste en l’être humain dès la naissance ? Dans ce cas ni le langage, ni la culture, ni même la bipédie ne sont naturelles, car elles résultent toutes d’un certain conditionnement social, d’un apprentissage qui passe par l’imitation. On ne peut donc pas définir le naturel de l’être humain à partir de la considération du nouveau-né.Est-ce que le naturel réside dans le lointain passé, dans l’humanité primitive, faiblement, voire pas du tout sociabilisée ? On serait bien en peine de savoir positivement quoi que ce soit d’une telle humanité, étant donné qu’aussi loin qu’on remonte dans le temps, on retrouve toujours des traces de société. Il est même douteux que l’être humain ait un jour existé indépendamment de tout contact avec ses semblables, ce dont même Rousseau, qui fonde sa pensée politique sur cette hypothèse, avait conscience. Ou alors faut-il plutôt chercher le naturel dans les grandes tendances invariantes de l’humanité, dans les motifs qui se répètent au cours des âges et des civilisations ? Dans ce cas, il faut admettre que l’humanité est naturellement religieuse, tant le fait religieux s’observe avec constance.Donc non, l’être humain n’est pas naturellement athée, il est naturellement religieux. L’athéisme, tel qu’on l’entend aujourd’hui, et qui désigne une opposition, soit réfléchie, soit due à l’indifférence, aux principales formes de théisme, ne peut exister que dans des cultures façonnées par le théisme. Les confucéens chinois, qui ne croient pas en une divinité transcendante personnelle, ne sont pas théistes, mais ils ne sont pas non plus athées, car ils restent religieux, de par leurs rites. L’athéisme, en tant que posture métaphysique réfléchie, est donc une construction culturelle. En revanche, l’athéisme d’indifférence, qu’on appelle généralement impiété ou incroyance, existe quant à lui depuis aussi longtemps que le phénomène religieux. L’Ancien Testament parle en effet souvent des hommes infidèles, oublieux de Dieu, qui « se disent dans leur coeur que Dieu n’existe pas ». On peut donc reconnaître une certaine naturalité à cet athéisme, mais dans ce cas la religion est aussi naturelle que lui.