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Commentaire de Reinette

sur Jean-Marie Sarkozy ?


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Reinette (---.---.153.233) 12 mars 2007 15:11

L’ennemi intérieur !

La « gangrène à éradiquer » de Sarkozy n’est pas bien loin des « tissus gangrénés » dont parlaient les manuels de guerre des militaires français en Algérie. C’est que, pour souder la nation, les gouvernants ont toujours été bien avisés de lui fournir un ennemi intérieur assimilé à une tumeur maligne.

SARKOZY, l’indispensable ministre du maintien de l’ordre, le reconnaît lui-même : « La sémantique, c’est important. »

Dans les discours sarkoziens sur les émeutes, le choix des mots révèle un art de la communication policière tout entier voué à façonner le portrait-robot de l’ennemi intérieur. L’imagerie médicale dont use le notable de Neuilly nous le désigne comme une « gangrène à éradiquer », un « mal à extirper en profondeur » avant qu’il ne « s’enkyste » définitivement [1].

La préservation du corps social par les globules (blancs, naturellement) de la police exige donc un « sang-froid » de chirurgien pour amputer la tumeur et éviter toute bavure dans les points de suture.

Cette référence au traitement clinique fleurissait déjà dans les manuels de lutte anti-insurrectionnelle destinés aux officiers de renseignement pendant la guerre d’Algérie.

Comme dans cet extrait : « Cette chirurgie, fondée sur le diagnostic des régions les plus contaminées et de villages encore relativement sains, doit amener l’ablation des tissus gangrenés et ouvrir la voie à cette convalescence, qui sera la pacification proprement dite. »

Car c’est un fait scientifique bien établi : le virus de la révolte ne saurait être spontané, produit par le corps social lui-même, il est forcément le résultat d’agents infectieux. Après les spécialistes en subversion de jadis, ce sont désormais les « caïds » et « bandes organisées » manipulant des mineurs dans « leurs laboratoires de fabrication de cocktails Molotov » qu’il convient de traiter à grandes doses d’antibiotique.

Mais quand la République se trouve au bord de la guerre civile, la métaphore médicale cède le pas à des allégories plus martiales : « Les concepts servent à déverrouiller l’action et la communication est à l’action ce que l’aviation est à l’infanterie ; l’aviation doit passer pour que l’infanterie puisse sortir ; c’est lorsqu’on a gagné la bataille de la communication qu’on peut commencer à agir. » [2]

Une fois qu’on a déshumanisé « la racaille », le terrain est libre pour lui envoyer les Karchers multitubes montés sur hélicoptères.

Autre figure rhétorique et anthropométrique de l’ennemi intérieur, largement utilisée dans l’Histoire et au bar de l’actuelle Assemblée nationale : celle de l’étranger, c’est-à-dire du clandestin, du polygame, du musulman intégriste et terroriste. C’est l’Autre envisagé comme barbare, celui qui n’a pas les mêmes origines (le Noir et l’Arabe, ...), qui parle mal la France (le rappeur insolent, archétype du jeune à casquette), qui ne partage pas les mêmes souvenirs historiques (le temps béni des colonies), qui ne participe pas aux fêtes traditionnelles de la nation (les sifflets au stade et les youyous à la mairie). Pour lui, un seul horizon, une seule perspective : le territoire policier. Un espace borné de contrôles d’identité permanents, de charters et bientôt de rafles systématiques avec le remake annoncé de la loi anti-casseurs, en attendant le retour des bataillons disciplinaires.

Ce traitement de la crise sociale a été théorisé sous le nom de décisionnisme par le philosophe hegelien Carl Schmitt [3].

Carl Schmitt affirmait qu’un État ne pouvait garantir son unité et sa pérennité qu’en désignant de son propre chef l’ennemi intérieur. Quelques décennies plus tard, d’obscurs buveurs de bière munichois allaient soumettre cette hypothèse à l’épreuve des faits.

Dans un contexte plus médiatique, un tout aussi obscur sénateur américain, du nom de Joseph Raymond McCarthy [4] qui ne crachait pas sur ses 2-3 bouteilles de bourbon par jour allait en appeler au « bon sens » des électeurs pour l’aider à démasquer les menées communistes des élites intellectuelles.

(Donc pas de parano exagérée : il paraît que Sarkozy ne boit pas !)

[1] Discours dit de « la racaille », tenu à Argenteuil le 26/10/2005.

[2] Nicolas Sarkozy interviewé dans l’Express, 17/11/2005.

[3] Carl Schmitt (11 juillet 1888 - 7 avril 1985) était un juriste et philosophe allemand. Il fut un intellectuel catholique allemand et un théoricien du droit. Il adhère au parti nazi en 1933, dont il a été le conseiller juridique. Accusé d’avoir conservé des amitiés juives, il est inquiété après 1936 par la SS mais conserve jusqu’à la fin de la guerre son titre de conseiller d’État (il fut nommé par Göring) et de professeur à l’université de Berlin. Il avait d’ailleurs organisé en 1936 un congrès contre l’esprit juif dans la science du droit qui révèle la radicalité de son antisémitisme. Il est acquitté au procès de Nuremberg en 1946 après une année passée en prison.

[4] Joseph Raymond McCarthy (14 novembre 1908 dans le Wisconsin - 2 mai 1957 à Bethesda dans le Maryland), affilié à l’origine avec le Parti Démocrate, puis avec le Parti républicain. En dix ans de carrière au Sénat, McCarthy et son équipe sont devenus célèbres pour leurs diatribes contre le gouvernement fédéral des États-Unis, et pour leur campagne hystérique contre tous ceux qu’ils soupçonnaient d’être ou de sympathiser avec les Communistes. Cette période comprise entre 1950 et 1956, connue sous le nom de « Terreur Rouge » (Red Scare), a aussi pris le nom de Maccarthisme.


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