La question qui se pose est donc : notre société s’est-elle déjà effondrée, mais qu’elle ne continue sur sa lancée que par l’inertie des choses ?

@Zolko
Si on s’en tient à considérer l’image que les media nous renvoient de notre société, on peut bien évidemment avoir le sentiment d’un déclin et d’un effondrement, voire d’une décadence : la bêtise qui a désormais droit de cité partout est en train de gangrener la vie publique. En revanche, si on s’intéresse à la marche des sciences et aux progrès des techniques, on voit immédiatement que c’est tout le contraire. L’informatique, la biologie et les nano-technologies sont en train de se rapprocher et de produire des avancées qui, avant le milieu de ce siècle, vont complètement changer notre rapport à la réalité. Bien des efforts sont faits pour vulgariser les sciences, mais le fossé s’est considérablement creusé entre le citoyen même « cultivé » et les domaines de la recherche qu’il lui est de plus en plus difficile d’appréhender. Les spéculations des transhumanistes, par exemple, que plusieurs philosophes commencent enfin à prendre tout à fait au sérieux, paraissaient ridicules à l’homme cultivé d’il y a seulement dix ans. Dans les années 80, il se trouvait encore des spiritualistes, même parmi les informaticiens, pour croire que l’intelligence humaine était une espèce de sommet indépassable. On n’en est plus là, et le dépassement de l’intelligence humaine par celle des machines, c’est l’affaire de quinze ou vingt ans. En général, on préfère cependant n’en rien savoir.
Ce qui me paraît stupéfiant, actuellement, c’est justement cette incapacité des masses à imaginer ce que pourra être l’état du monde à la fin de ce siècle. Il est très facile, actuellement, de faire resurgir, avec le thème du réchauffement climatique, les vieilles peurs apocalyptiques d’un lointain moyen-âge, mais la question de savoir si on peut régler la température de la planète comme celle d’un petit appartement au moyen d’un thermostat est assez fantaisiste et fort peu « scientifique » en dépit de l’abus qui est fait de ce terme pour persuader les naïfs. En réalité, personne ne sait vraiment comment les choses vont évoluer dans ce domaine. En revanche, les avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle sont tout à fait prévisibles : l’évolution est continue depuis la dernière guerre et l’accélération est permanente, déjà fort bien décrite par la loi de Moore à la fin des années 60. On peut donc très facilement extrapoler. Les changements qui résulteront de ces progrès seront bien plus considérables que ceux qui dépendront de l’évolution du climat.
Dans le monde occidental, je ne vois donc nulle part quelque chose qui puisse être considéré comme le signe d’une décadence. La carrosserie de la civilisation est certes bien sale et bien cabossée, mais le moteur tourne de mieux en mieux.