A l’auteur.
Très bien !
On suggèrera à l’intéressé de méditer le Troisième discours de Nicole tiré de conversations avec Pascal (Trois discours sur la condition des grands...
« Je veux vous faire connaître,
Monsieur, votre condition véritable, car c’est la chose du monde que les
personnes de votre sorte ignorent le plus. Qu’est-ce à votre avis
d’être grand seigneur ? C’est être maître de plusieurs objets de la
concupiscence des hommes, et ainsi pouvoir satisfaire aux besoins et aux
désirs de plusieurs. Ce sont ces besoins et ces désirs qui les attirent
auprès de vous, et qui font qu’ils se soumettent à vous ; sans cela ils
ne vous regarderaient pas seulement ; mais ils espèrent, par ces services
et ces déférences qu’ils vous rendent, obtenir de vous quelque part de
ces biens qu’ils désirent et dont ils voient que vous disposez.
Dieu est environné de gens pleins de
charité, qui lui demandent les biens de la charité qui sont en sa
puissance ainsi il est proprement le roi de la charité.
Vous êtes de même environné d’un
petit nombre de personnes, sur qui vous régnez en votre manière. Ces
gens sont pleins de concupiscence. Ils vous demandent les biens de la
concupiscence. C’est la concupiscence qui les attache à vous. Vous êtes
donc proprement un roi de concupiscence, votre royaume est de peu
d’étendue, mais vous êtes égal en cela aux plus grands rois de la terre.
Ils sont comme vous des rois de concupiscence. C’est la concupiscence
qui fait leur force, c’est-à-dire la possession des choses que la
cupidité des hommes désire.
Mais en connaissant votre condition
naturelle, usez des moyens qu’elle vous donne ; et ne prétendez pas
régner par une autre voie que par celle qui vous fait roi. Ce n’est
point votre force et votre puissance naturelle qui vous assujettit
toutes ces personnes. Ne prétendez donc point les dominer par la force,
ni les traiter avec dureté. Contentez leurs justes désirs, soulagez
leurs nécessités, mettez votre plaisir à être bienfaisant, avancez-les
autant que vous le pourrez, et vous agirez en vrai roi de concupiscence.
Ce que je vous dis ne va pas bien
loin ; et si vous en demeurez là, vous ne laisserez pas de vous perdre,
mais au moins vous vous perdrez en honnête homme. Il y a des gens qui se
damnent si sottement par l’avarice, par la brutalité, par les
débauches, par la violence, par les emportements, par les blasphèmes ! Le
moyen que je vous ouvre est sans doute plus honnête ; mais en vérité
c’est toujours une grande folie que de se damner. Et c’est pourquoi il
n’en faut pas demeurer là. Il faut mépriser la concupiscence et son
royaume, et aspirer à ce royaume de charité où tous les sujets ne
respirent que la charité et ne désirent que les biens de la charité.
D’autres que moi vous en diront le chemin ; il me suffit de vous avoir
détourné de ces vies brutales où je vois que plusieurs personnes de
votre condition se laissent emporter faute de bien connaître l’état
véritable de cette condition. »