Le grand défaut de la
technocratie serait la reconstitution, non pas d’une aristocratie mais d’une
oligarchie sujette à des intérêts ploutocratiques. Les ploutocrates pourraient
très bien s’emparer des procédures de formation et de sélection des
technocrates au pouvoir afin qu’ils gouvernent dans leurs intérêts.
Il ne faut jamais perdre
de vue que dans les sociétés, il existe des intérêts divergents dont la
satisfaction mène à des rapports de force.
Dans « De la démocratie en Amérique », Tocqueville critique longuement la démocratie
mais il lui trouve aussi des vertus que l’aristocratie n’a pas : il
explique que l’aristocratie ne
travaille que pour elle seule et non pour les gouvernés. Il importe que les
gouvernants aient des talents mais selon lui, ce qui importe encore d’avantage,
c’est que les gouvernants n’aient pas d’intérêts contraires aux gouvernés
car dans ce cas, les talents pourraient devenir inutiles et funestes.
Le peuple peut commettre de
graves erreurs mais il ne suivra jamais systématiquement une tendance hostile à
l’intérêt public.
Il conclut qu’il existe au fond des institutions démocratiques,
une tendance cachée qui fait souvent concourir les hommes à la prospérité générale,
malgré leurs vices ou leurs erreurs , tandis que dans les institutions
aristocratiques , il se découvre quelquefois une pensée secrète qui en dépit
des talents et des vertus , les entraine à contribuer aux misère de leurs
semblables.
C’est très fort et c’est l’une des raisons pour laquelle,
à mon humble avis, on ne doit pas faire l’économie de doses de démocratie
directe.
Et puis à part la question des intérêts, il y’a
quelque chose de fondamental : qui est plus légitime que le peuple pour fixer
la finalité des décisions politiques ? Autant l’expert peut prendre des
mesures pour accéder à cette finalité, autant il n’a pas la légitimité pour la fixer.