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Commentaire de popov

sur Brève présentation de la théorie mimétique de René Girard


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popov 28 février 2018 17:40

@Gollum & @tous

Bonjour

Et donc qui commence dans ce cycle infernal ? Qui est le premier à désirer ?

Bonne question.

 Dans une réaction nucléaire en chaîne (bombe atomique) un noyau de plutonium 239 ou d’uranium 235 absorbe un neutron et se fissionne en libérant des neutrons qui vont à leur tour produire la fission d’autres noyaux. Le neutron, c’est le signal (la main qui se tend vers le jouet). L’imitation, c’est la fission du noyau qui absorbe le neutron et envoie à son tour le même signal dans plusieurs directions. Question : d’où vient le neutron qui a provoqué la première fission ? On ne l’a pas injecté à la main. Tout ce qu’on a fait, c’est de rapprocher brusquement deux blocs de matériau fissible pour que, dans le cas où une fission se produirait, les neutrons dégagés aient toutes les chances de se faire absorber à leur tour (masse critique) avant de sortir du bidule. Quelle est la probabilité que le premier noyau à se fissionner ait pu faire « comme s’il avait absorbé un neutron » ?

 Revenons à nos enfants. Quand on lâche les balles au milieu du groupe, les regards sont attirés, simple réflexe. L’imagination et la mémoire entrent en jeu : le simple regard d’un enfant peut être interprété par un ou plusieurs autres enfants comme ce qui précède un geste de la main vers l’objet (mémoire) et une tentative de s’en approprier (imagination). L’objet peut donc se trouver désigné comme désirable dans l’imagination d’un ou de plusieurs enfants avant même qu’aucun n’ait tendu la main.

 Je comprends la réaction de recul de beaucoup d’intervenants quand on leur dit que le désir est purement mimétique. Nos désirs ne sont-ils pas le moteur de nos actions et partie intégrante de nos personnalités ?

 Nous avons tous des besoins élémentaires : air, eau, nourriture. Quand on crève de soif, boire de l’eau produit un plaisir intense. Mais nos besoins sont saturables. Une fois la soif étanchée, boire de l’eau ne produit plus ce plaisir. Nous gardons cependant en mémoire le souvenir de ce plaisir et notre imagination cherche un moyen de le reproduire. Mais comment ? Une fois nos besoins élémentaires satisfaits, que désirer ? C’est là qu’intervient le mécanisme mimétique, cette fascination pour l’autre qui lui délègue le soin de désigner ce qui est désirable.

Pourquoi sommes-nous câblés pour subir cette fascination ? Plus un animal est évolué, plus il a besoin d’apprendre les gestes qui lui seront nécessaires dans son environnement. Un ver de terre est prêt à l’usage dès sa naissance. Ce n’est pas le cas d’un lionceau qui devra apprendre à chasser. Chez les humains, c’est encore pire : pratiquement tout est à apprendre. L’évolution nous a donc doté de ce mécanisme mimétique qui nous permet d’apprendre, ce qui a fait dire à Aristote que l’homme est différent des animaux en ce qu’il est plus apte à l’imitation. Une simple différence quantitative.

Mais une petite différence quantitative peut amener de grandes différences qualitatives. Quand deux animaux mâles se bagarrent pour une femelle, le vaincu se retire et ne se posera plus désormais en obstacle au mâle dominant. Le vainqueur ne s’acharne pas sur l’autre jusqu’à le tuer, cela demanderait une dépense d’énergie inutile. La société animale se structure donc en dominants et dominés.

Imaginons maintenant deux des nos lointains ancêtres se bagarrant pour une femelle rien qu’avec leurs armes naturelles comme les animaux qu’ils sont encore. Ils ont cependant une cerveau un rien plus gros que les autres animaux, et il arrivera bien un jour où, au milieu d’une bagarre, un des protagonistes ramasse une pierre ou un branche et frappe l’autre. L’autre meurt. Il faut beaucoup moins d’énergie pour tuer un adversaire avec une arme même primitive qu’à coups de poings. La « technologie » est facile à mémoriser et à répliquer, donc à partir de ce moment, l’usage de l’arme se répand et la course aux armements est lancée. 

C’est là le point crucial de l’hominisation telle que la décrit Girard. La société ne peut plus se structurer comme les sociétés animales. Si un mécanisme ne se met pas en place pour limiter les tueries, la survie du groupe est compromise. Ce mécanisme, d’après Girard, c’est celui de la victime émissaire. Au paroxysme de la violence, quand tout le monde imite tout le monde en se tapant dessus comme dans le petit village d’Astérix, l’attention peut soudain se porter sur un individu différent et la violence de tous se focaliser sur cet individu. Après la mort de cet individu, le taux d’adrénaline étant retombé, tout le monde se calme. Avant sa mort cet individu était considéré comme la brebis galeuse responsable de tous les maux ; après sa mort il sera considéré comme un dieu protecteur (Œdipe).


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