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Commentaire de Jean-François Dedieu

sur Mayotte, des barrages en guise de barricades !


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Jean-François Dedieu Jean-François Dedieu 20 mars 2018 09:46

De l’anarchie à la révolution

Notre mission : un nouveau Pacte avec la République

La grève continue ! Les barrages entravent toujours la liberté de circulation. Le droit de grève fait opposition au droit de vote. Le suffrage universel perd sa substance représentative et son sens démocratique. Malgré une timide reprise du dialogue, les dénégations l’emportent sur les affirmations. Selon toute vraisemblance, les radicaux dirigent le Mouvement populaire. Le leitmotiv, « durcir le rapport de force », indique qu’aucun consensus n’est possible sous leur férule. Des voix, de plus en plus nombreuses, s’élèvent pourtant pour dénoncer le pourrissement de la grève. Ce n’est pas, semble-t-il, son caractère «  générale » qui pose problème, mais sa particularité « illimitée ».
Présentée par ses promoteurs comme « révolutionnaire », la Protestation légitime est tombée dans « l’anarchie », par manque de prévision. Pour beaucoup d’entre nous, la grève contre les violences a pris des allures violentes, la dénonciation de l’insécurité utilise les outils de l’insécurité et emprunte son langage.
Comment en est-on arrivé là ? Des observateurs attentifs s’inquiètent de cette dérive, apparemment inattendue. Or, expression d’un ras-le-bol, la nature même du mouvement social est spontanée, sa qualité réside dans l’absence de règle établie, de ligne directrice, de chef incontesté. Sa force tient dans la mobilisation de tous, dans l’écœurement commun, dans le sacrifice collectif, son organisation fondée sur la solidarité villageoise lui donne la capacité de durer.
Lees barrages perdurent pour la simple raison que tout le monde a le pouvoir de faire et de dire, à condition que l’acte et l’expression soient solidaires. La multiplicité des référents brouille les messages, elle n’autorise aucune initiative personnelle. Pour preuve, l’annonce de fin de grève a été considérée comme une maladresse, l’auteur fautif a dû se rétracter, faire amende honorable et garder le silence. Ce silence contraint par des événements imprévisibles, et forcé par la méconnaissance des responsabilités de chacun, ne dit rien qui vaille ; il n’annonce rein de bon, il montre seulement que la ligne conductrice est jusqu’-au-bouttiste : « Paca tcho  ! » Ce slogan de la rue qui s’enflamme, n’est pas le mot d’ordre des leaders, il s’impose à eux. Puisque le mouvement est hors contrôle, personne, dans l’impuissance des principes démocratiques, ne peut fixer la limite, à part le peuple lui-même révolté contre sa propre révolte, conscient de la dangerosité du monstre qu’il a engendré.
En anarchie, il est illusoire de trouver une porte de sortie honorable aux multiples conflits qui s’agrègent, qui s’ajoutent les uns autres et produisent inévitablement des drames. Le temps du bilan n’est pas encore venu. L’analyse à chaud ne doit pas nous amener à des conclusions définitives. Gardons-nous des jugements hâtifs et des condamnations irrévocables ! Ne cherchons pas des bouc-émissaires aux exactions commises ici et là, aux victimes collatérales et aux souffrances des familles innocentes endeuillées.
Nos jeunes héros sont méritants, leur cause est juste, leur combat est exemplaire, leur action est porteuse d’espoir. C’est la forme de la grève, passée de « pacifique » à « catastrophique », qu’il faut repenser et réorienter. Pourquoi ? Parce que le mouvement est victime de son succès. Parce que nous sommes tous, à des degrés divers, coupables de n’avoir pas prévu son issue et de n’avoir pas su modérer le risque subversif par un encadrement bien pensé, structuré dans la perspective d’un protocole conclusif. Ne parlons pas encore d’échec, le mouvement a produit des résultats, c’est la réussite que nous devons garder à l’esprit, une réussite qu’il s’agit maintenant de transformer en succès. Cette victoire viendra de la détermination, mais elle passe aussi par l’analyse coûts-avantages de la poursuite de la grève. Or, dans ce domaine, tout le monde est d’accord pour dire qu’à trop vouloir gagner, à n’importe quel prix, on risque de tout perdre.
Qu’avons-nous à perdre dans un paradis transformé en enfer ? Mayotte pourrait perdre non seulement son âme, mais aussi une image de courage, de combattivité, reconnue par la presse nationale, une image revêtue de l’emblème de l’équité et de la justice républicaine. Notre département célébré pour son soulèvement, visible de par le monde
Après quatre semaines de manifestations programmées ou improvisées, les héros d’hier n’ont plus voix au chapitre. La communication est erratique. Entre rumeurs, menaces et délations, la parole ne vaut plus grand-chose. La division s’est installée. En vérité, personne ne maîtrise plus rien. Les protagonistes - Intersyndicale, Collectif des Citoyens, Comité des maires, Parlementaires, Ministre, Gouvernement - se sont neutralisés les uns les autres. Faute d’accord ordonné pour un dialogue coordonné, tous les participants mandatés ont laissé un grand vide. C’est ce vide justement qui explique l’anarchie, laquelle s’auto-entretient, incapable, par nature, de satisfaire les aspirations du peuple. L’anarchie ne réalise qu’elle-même, elle ne prend en considération que sa propre existence, elle ne vante que sa capacité de nuisance, elle est la substance du chaos, et le chaos son aliment. Il est donc impératif de sortir d’une situation diabolique, par essence improductive.
L’anarchie est transitoire, elle occupe une période de doute et de confusion, elle n’a pas vocation à construire, elle a pour fonction de préparer l’avènement de son principe fondateur et la réalisation de sa finalité : la révolution qui accouche d’un objet, d’un symbole, d’une personne, d’un système, la révolution source d’espérance  !
Cette révolution mahoraise qui se dessine dans la continuité de la grève contre l’insécurité et les violences ne se gagnera pas dans les barrages. Il faut donc lever les barrages et engager la discussion révolutionnaire avec la Mission de haut niveau présente sur le territoire.
Comment sortir de l’anarchie qui se nourrit du fatalisme, obscurcie le ciel de Mayotte, obstrue le chemin de la rédemption et nous ensauvage ? Comment sortir de l’insécurité et du désespoir ? En permettant au processus révolutionnaire de se poursuivre, d’aller à son terme, d’enfanter sa lumière : le projet de développement de Mayotte, un nouveau Pacte avec la République fondateur d’un nouveau projet de société.
Zaïdou BAMANA


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