Extraits
de “Pourquoi
nous travaillons”
J. Fourastié, P.U.F. 1959
« Une
certaine conception du monde place dans le passé l’âge d’or de
l’humanité. Tout aurait été donné gratuitement à l’homme dans le
paradis terrestre, et tout serait au contraire pénible et vicié de
nos jours. Jean-Jacques Rousseau a donné une couleur populaire et
révolutionnaire à cette croyance, qui est restée vive au cœur de
l’homme moyen [pour gagner celui du Bobo] : ainsi l’on entend
parler de la vertu des produits « naturels » [devenus « bio »]
et bien des français [ils ne sont pas les seuls] croient que la vie
d’autrefois était plus saine qu’aujourd’hui.
En
réalité, tous les progrès actuels de l’histoire et de la
préhistoire confirment que la nature naturelle est une dure marâtre
pour l’humanité. Le lait « naturel » des vaches « naturelles »
donne la tuberculose, et la vie « saine » d’autrefois faisait
mourir un enfant sur trois avant son premier anniversaire. Et des
deux qui restaient, dans les classes pauvres, un seul dépassait, en
France encore et vers 1800, l’âge de 25 ans. (...)
Toutes
les choses que nous consommons sont en effet des créations du
travail humain, et même celles que nous jugeons en général les
plus « naturelles », comme le blé, les pommes de terre ou
les fruits. Le blé a été créé par une lente sélection de
certaines graminées ; il est si peu « naturel » que si
nous le livrons à la concurrence des vraies plantes naturelles il
est immédiatement battu et chassé. Si l’humanité disparaissait de
la surface du sol [Ce qui ne saurait tarder au train où vont les
choses dans bien des domaines], le blé disparaîtrait moins d’un
quart de siècle après elle ; et il en serait de même de
toutes nos plantes « cultivées », de nos arbres fruitiers et
de nos bêtes de boucherie ; toutes ces créations de l’homme ne
subsistent que parce que nous les défendons contre la nature ;
elles valent pour l’homme ; mais elles ne valent que par
l’homme.
(À suivre)