Les lépreux sont maudits. Aux
Indes maintenant comme au Moyen-Age en Europe. La société des
humains attache à cette maladie terrible des notions de châtiment
divin et donc de ségrégation, d’ostracisme social.
Le premier lépreux que j’ai
vu, en tout cas en sachant que c’en était un, c’est à Delhi, à
Kutab Road, une rue incroyable qui te mène de Connaught Place et ses
boutiques riches au vieux Delhi. Kutab Road, c’est l’Inde des
prolos. C’est là que je l’ai vu, mon premier lépreux.
Il avançait péniblement sous
les arcades. Il avait une pièce de toile verte sur la tête et les
épaules et il essayait de la retenir devant sa gueule comme il
pouvait. Sa gueule, ça faisait peur. Deux trous pour les yeux, plein
de sanie, plein de jus visqueux. Deux trous pour le nez, que ça le
faisait ressembler à un lion. Quelques chicots qui sortaient de ce
qui avait été une bouche. Ses mains, y en avait plus... Deux
moignons noirâtres, complètement rongés. Sans doigts. C’est avec
ça qu’il retenait comme il pouvait son tissu devant lui pour se
planquer un peu. Ses jambes étaient couvertes de chiffons gluants de
pus, avec plein d’ulcères coulants. Ses pieds, c’était plus que
des bouts tout craquelés, gris noir, avec des morceaux rosés, qu’un
rat avait dû lui bouffer son dernier arpion. Il avançait doucement.
Il s’est mis devant un marchand de yogourt, ces mecs qui te font un
délicieux yogourt dans de grands récipients en cuivre qu’ils ont
devant eux et qui te vendent une portion dans des petits pots en
terre, qu’après usage tu les casses. Le lépreux, il a étendu son
écuelle au-dessus du grand bac à yogourt. Le marchand, il a pris
l’écuelle, l’a remplie et l’a rendue au mort-vivant. Pouvait
pas bouffer comme ça. Alors il a posé son écuelle par terre, s’est
mis à quatre pattes, puis il a bouffé son yogourt en le lapant
bruyamment, comme un chien...
Ça te file un drôle ne
flash, surtout quand t’es pas encore habitué, comme c’était le
cas.