Michel Onfray est décidément très productif. Son texte de ce samedi 8 décembre : LE POUVOIR AUX ABOIS. Extraits :
Le pouvoir a usé et abusé de plusieurs stratégies pour disqualifier
le mouvement des gilets-jaunes. Il y a d’abord eu le traitement par le
mépris : "Ca leur passera, c’est un genre d’éruption cutanée, ils
finiront par rejoindre le rang ! Il suffit de laisser pourrir,
d’attendre, de tabler sur la fatigue." (...)
Il y a eu ensuite le traitement par le
mensonge. Le ministre de l’Intérieur, ancien joueur de poker naguère
très au fait des habitudes du milieu marseillais, y est allé fort : il a
livré à la presse, qui s’est empressée de les reprendre et de les
diffuser largement, des chiffres fantaisistes concernant les
participations aux manifestations à la décimale près en expliquant que
ce n’était rien, peu de chose, pas grand-chose. Les images avaient beau
montrer le contraire à jet continu, rien n’y faisait : le pouvoir disait
que c’était quantité négligeable -donc gens négligeables.
Dans
la foulée, il y a eu le traitement par la criminalisation. On a ainsi vu
ce fameux Castaner posant dans un PC sécurité, avec des fonctionnaires
aux ordres, en leur demandant devant les caméras de confirmer qu’il y
avait bien eu un mort. La conversation ressemblait à ça : "Un mort, oui,
c’est ça, j’ai bien entendu, il y a eu un mort, vous pouvez me confirmer
qu’il y a donc bien eu un mort à cause des gilets-jaunes ? C’est bien
ça ?" Or, s’il y a bien eu des morts, ils ne l’ont pas été du fait des
gilets-jaunes, mais du fait de ceux qui, comme Castaner, refusaient les
gilets-jaunes, et fonçaient dans le tas...
Puis il y a eu le
traitement par la diabolisation : on a parlé de fascisme, de vichysme, de
poujadisme, de lepenisme, de populisme, de peste brune,
d’antisémitisme, d’homophobie, de racisme. Libération et Le Monde,
France-Inter et le service public audiovisuel dans sa totalité, ainsi
que les journaux subventionnés par l’argent du contribuable, y sont
allés comme un seul BHL ! Mais cette technique qui a fait mouche pendant
quelques années ne marche plus. Le peuple a compris les ficelles. (...)
Ajoutons aux forfaits déjà listés le traitement
par l’attaque ad hominem : les journaux du système sont allés chercher
des poux dans la tête de tel ou tel dont on cherchait le spécimen le
plus à même de servir de repoussoir. Il y eut cette femme qui avait fait
un tabac avec sa vidéo, tout au départ du mouvement, et dont on a vidé
les poubelles afin de savoir s’il n’y avait pas chez elle quelque chose
qui réjouirait la basse police intellectuelle. On a trouvé de l’hypnose (comme chez Freud...), de la croyance à des propos assez peu
scientifiques (comme chez Freud...), du complotisme (comme chez
Freud...), mais comme elle ne se réclamait pas du docteur viennois, les
journalistes parisiens qui habituellement souscrivent aux fictions de la
psychanalyse trouvaient que, chez elle qui vivait en province et
n’était pas diplômée en pensée magique freudienne, il n’y avait aucun
crédit et que, de ce fait, c’est tout le mouvement qui cessait d’être
crédible (...).
Il fallut également compter avec le traitement par l’essentialisation.
De sorte qu’un propos raciste tenu ici par un gilet-jaune qui bloque
une voiture conduite par un non-blanc (on ne sait plus comment dire sans
risquer la prison...) bien décidé à forcer le barrage, et voilà que
c’est tout le mouvement qui est raciste ! Et l’on fait de même avec un
gilet-jaune qui a tenu un propos homophobe après avoir estimé que le
conducteur énervé d’un autre véhicule ne lui semblait pas hétérosexuel
(toujours la crainte de la prison...), et voilà que tout le mouvement
devient homophobe ! (...)
Pour suivre, il y a eu aussi le traitement par la
déconsidération : il fallait absolument assimiler le mouvement aux
casseurs. Consignes furent donc données aux forces de l’ordre de laisser
casser : sinon, pourquoi aurai-je vu pendant si longtemps sur BFM des
manifestants desceller des pavés de l’avenue des Champs-Élysées ? Ce que
les journalistes pouvaient filmer sans problème, en prenant leur temps,
ce que les téléspectateurs pouvaient voir, bien assis dans
leur fauteuil, les services de police pouvaient eux-aussi le voir, ils
pouvaient donc agir, donner des ordres et empêcher que les pavés soient
descellés. Auquel cas, sans pavés descellés, il n’y aurait pas eu de
forces de police attaquées, pas de vitrines de magasins défoncées, et
rien de ce qui a permis aux journalistes de s’apitoyer longuement sur le
spectacle déplorable, sur la violence des gilets-jaunes, sur leur
vandalisme, sur leur sauvagerie... Qui était sauvage. Qui était vandale ?
Le président de la République, le Premier ministre, le ministre de
l’Intérieur qui avaient les moyens d’empêcher la violence et qui s’y
sont refusés afin de pouvoir ensuite l’instrumentaliser à des fins de
déconsidération.
De même a-t-on eu droit à un traitement par
la dramatisation. Avec l’un d’entre les gilets-jaunes qui disait qu’il
fallait marcher sur l’Élysée afin de pouvoir y être reçu pour présenter
ses doléances, on fit une scène médiatique formidable : les gilets-jaunes
voulaient faire un « putsch » fut-il dit. Un « coup d’État » ont ajouté
d’autres ! Il a suffi qu’on sorte le propos d’un autre qui voulait qu’on
confie Matignon au général de Villiers pour que la presse effectue une
nouvelle variation sur le thème du fascisme des gilest-jaunes. Il n’est
pas venu à l’esprit de ces journalistes qu’un réel putsch a vraiment eu
lieu en France il y a quelques années : c’était le 29 mai 2005 et on le
devait aux libéraux maastrichtiens, de droite et de gauche, quand ils
ont jeté aux ordures le référendum par lequel 54,68 % des Français ont
fait savoir qu’ils ne voulaient plus de cette Europe maastrichtienne
libérale, qui a créé la paupérisation générant ce mouvement des
gilets-jaunes.
Mépris, mensonge, criminalisation,
diabolisation, attaque ad hominem, essentialisation, déconsidération,
dramatisation : Emmanuel Macron ne recule devant rien quand il s’agit
d’attaquer le peuple afin de défendre l’Europe maastrichtienne.
L’image des blindés de la gendarmerie stationné en haut des
Champs-Élysées renseigne bien sur ce qu’il en est désormais du pouvoir
personnel d’Emmanuel Macron... Mais ce ne sont pas des véhicules
militaires, a dit une crétine de BFM le samedi matin parce qu’ils
n’étaient pas équipés de mitraillettes -des « sulfateuses » a même
surenchéri un consultant expert de la chaîne ! Il y avait presque un
regret chez ces gens-là qu’on ne sulfate pas le peuple qui se contente
de demander du pain.
Michel Onfray