[...] Qu’établit-on par exemple, par le salaire ? La vie du travailleur. De plus, on établit par ce moyen que le travailleur est l’esclave du capital, qu’il est une « marchandise », une valeur d’échange dont le niveau plus ou moins élevé, la hausse ou la baisse, dépendent de la concurrence, de l’offre et de la demande. On établit ainsi que son activité n’est pas la libre manifestation de sa vie humaine, mais plutôt un moyen de négocier ses forces, une aliénation (un trafic) d’aptitudes mécaniques de l’ouvrier livré au capital, en un mot : on établit que son activité, c’est du « travail ».
Maintenant, oublions tout cela. Le « travail » est la base vivante de la propriété privée, la propriété privée étant sa propre source créatrice. La propriété n’est rien d’autre que le travail matérialisé. Si l’on veut lui porter un coup fatal, il faut attaquer la propriété privée non seulement comme état objectif ; il faut l’attaquer comme activité, comme travail. Parler de travail libre, humain, social, de travail sans propriété privée, est une des plus grandes méprises qui soient. Le « travail » est par nature l’activité asservie, inhumaine, antisociale, déterminée par la propriété privée et créatrice de la propriété privée.
Par conséquent, l’abolition de la propriété privée ne devient une réalité que si on la conçoit comme abolition du « travail », abolition qui, naturellement, n’est devenue possible que par le travail lui-même, c’est-à-dire par l’activité matérielle de la société, et nullement comme substitution d’une catégorie à une autre. Par conséquent, une « organisation du travail » est une contradiction. La meilleure organisation que le travail puisse trouver est l’organisation présente, la libre concurrence, la dissolution de toutes les organisations antérieures faussement « sociales ».
Karl Marx - “À propos du Système national de l’économie politique de Friedrich List” - (1845)