Gignoux était (comme André François-Poncet dans la décennie antérieure) un salarié du Comité des Forges, qui l’avait depuis 1925 affecté à la direction de son quotidien La Journée Industrielle et l’avait en outre, en septembre 1931, chargé de mission dans les structures de collaboration économique avec le Reich mises en place avec la bénédiction l’État, sous une présidence du Conseil de Laval [13]. Ce cagoulard avéré avait été appelé à ce poste pour inciter « les patrons à être des patrons » [14], c’est à dire déclarer la guerre de classe et, entre autres, casser le syndicalisme renforcé par le mouvement de 1936. Sa promotion, je l’ai dit, maintenait intacte la réalité du pouvoir dans la CGPF.
L’autorité suprême y demeurait détenue par le trio Banque de France, Comité des Forges et Comité des houillères, noyau initial de la synarchie auquel s’était agrégé tout ce qui comptait dans l’économie française : d’Ernest Mercier, magnat de l’électricité et chef d’une des ligues fascistes des années 1920, le Redressement français, à Jacques Lemaigre-Dubreuil, chef d’une des ligues fascistes des années 1930, celle dite des Contribuables, nommé le 15 octobre 1936 délégué des actionnaires de la Banque de France, pour succéder aux « régents » en apparence évincés par la réforme purement cosmétique du 24 juillet. Ces synarques étaient les plus gros bailleurs de fonds, et souvent les adhérents, des ligues fascistes groupées (sans disparaître individuellement) depuis1935-1936 en Cagoule.
Ils dirigeaient non seulement la politique intérieure du pays, mais aussi sa politique extérieure. Le grand historien des relations internationales Jean-Baptiste Duroselle croyait que « la politique a[vait] devancé l’économie » dans le choix de la politique d’Apaisement envers le Reich [15]. Or, « l’économie », loin de se laisser guider par les hommes politiques, dont elle contrôlait la quasi-totalité, avait elle-même fixé cette ligne depuis 1923-1924. C’est ce grand capital qui avait tramé toutes « les intrigues menées chez nous de 1933 à 1939 en faveur de l’Axe Rome-Berlin pour lui livrer la domination de l’Europe en détruisant de nos propres mains tout l’édifice de nos alliances et de nos amitiés. » Marc Bloch, qui dénonça, en mars 1944 cette stratégie, jugeait « les responsabilités des militaires français » plus graves que « celles des politiciens comme Laval, des journalistes comme Brinon, des hommes d’affaires comme ceux du Creusot, des hommes de main comme les agitateurs du 6 février » [16].