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Commentaire de Vivre est un village

sur Annie Lacroix-Riz dénonce, faits à l'appui, la non-épuration des collabos et s'attire les foudres de la censure


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Vivre est un village Vivre est un village 5 mars 2020 10:32

La conquête du syndicalisme « raisonnable », en quête désespérée d’appui contre ses adversaires bolcheviques, battit son plein sous le premier cabinet de Front populaire, avec l’aide précieuse du socialiste Charles Spinasse. Nommé par son ami Léon Blum ministre de l’économie nationale, le très droitier Charles Spinasse fit de Jean Coutrot, l’ancien « industriel » financé par la banque Worms, le « conseiller intime » de son cabinet [33]. Le recrutement connut son maximum d’intensité de 1936 à 1938, via les « comités Coutrot » et par diverses voies, telle la revue Les Nouveaux Cahiers.

Mis en train après la victoire électorale de la gauche, placé sous la tutelle de Jacques Barnaud, publié à dater du 15 mars 1937 (jusqu’au n° 57, de mai 1940), le bimensuel associa avec efficacité quelques cégétistes (Lucien Laurat) et des transfuges du PCF (Boris Souvarine) au gros bataillon fasciste d’origine des intimes - issus de la haute administration et de la grande entreprise - du directeur général de la banque Worms : y tenaient la plume, outre Barnaud lui-même, Auguste Detoeuf, Raoul Dautry, l’homme de Mercier (y compris au Redressement français), Jean Coutrot, etc.

En mars 1946, les industriels Detœuf, synarque important, et André Isambert, synarque moins notoire, tous deux amis « depuis 1930 environ » de Barnaud et de Coutrot, avouèrent à demi les objectifs de l’entreprise : œuvrer à « la disparition de l’esprit de classe », c’est à dire gagner à la collaboration de classe ouverte les cadres de la CGT (de la collaboration franco-allemande tout court ils ne dirent mot [34]). « Notre public se recruta principalement parmi des intellectuels de gauche, des membres du corps enseignant, des fonctionnaires, de jeunes industriels et ingénieurs, des syndicalistes ouvriers. Le Comité de vigilance des Intellectuels antifascistes nous fournit un assez grand nombre d’adhérents ». « Des discussions hebdomadaires », assurant un contact institutionnel régulier, mais ignoré du public salarié - sans préjudice d’autres occasions de rencontre -, préparaient le terrain des articles [35].

D’autres « discussions » entre la grande bourgeoisie synarchique et les cégétistes, organisées par Les Nouveaux Cahiers, revêtirent un éclat particulier : les « réunions organisées - journées de l’abbaye de Pontigny -, chaque année, depuis 1936, une, deux ou trois fois par an durant chacune 3 ou 4 jours. » [36] En 1938, la synarchie jugea la scission syndicale et la liquidation de la Tchécoslovaquie assez urgentes pour donner à ses liens avec les syndicalistes dépendants un éclat public exceptionnel : les « entretiens franco-suédois de Pontigny » réunirent du 24 au 27 juin, chez le synarque idéologique Paul Desjardins, de très grands patrons suédois et les dirigeants « de la Landsorganisation [LO] (CGT suédoise) » et leurs homologues patronaux et cégétistes français.

Un n° spécial des Nouveaux Cahiers, le 15 juillet 1938, fut consacré à la session, que son hôte Desjardins avait accueillie par ces mots : « nous sommes des Européens qui réfléchissent », sans oublier de célébrer le magnifique « document […] établi en commun » par « ouvriers et patrons ». La revue de Barnaud y fit écho, s’émerveillant des prestations suédoises et citant les réponses respectives du chef syndical, Lindberg, président de LO, et du chef patronal, Söderlund, « président de l’association des employeurs de main-d’œuvre, la CGPF suédoise pour les questions sociales », à ces deux questions : 1° « que pense la CGT suédoise de la nationalisation des grandes entreprises ? R[éponse]. En tant que syndicaliste, cela ne me regarde pas ; en tant que socialiste, j’en suis partisan. » [les syndicalistes cajolés étaient précisément enjoints de pas faire de politique anti-patronale] : 2° que pensent les patrons suédois de la négociation de « conventions nationales » patrons-ouvrier sans intervention de l’État ? « R[éponse]. L’État n’a rien à y voir ». « Aucune allusion ne fut faite aux problèmes français, quoique la plupart des questions posées fussent évidemment inspirées par le souci de ces problèmes. Aucune discussion n’eut lieu », prétendit la revue [37]. On avait au contraire beaucoup « discuté ».

Fin octobre 1938, Georges Valois, synarque très anticonformiste, au sens réel du terme [38], et ancien chef du Faisceau, rectifia ce compte rendu pour ses auditeurs du Club du Faubourg : « Dans ce cadre bourgeois [des] réceptions grandioses de M. Desjardins, les militants des syndicats révolutionnaires perdent leurs moyens devant la grandeur du lieu et les attentions dont ils sont l’objet de la part des dirigeants patronaux. […C]es rencontres sont très dangereuses car les militants se trouvent en état de nette infériorité au sujet de la tenue, du langage et des mœurs mondaines. À cette réunion, […] se trouvaient le Jouhaux suédois, les représentants du Comité des Forges et le Mercier suédois ; du côté français, les syndicalistes réformistes [Robert] Lacoste, [Georges] Lefranc et quelques militants de la CGT, non communistes [39]. On a montré […] aux représentants français la bonne entente qui existait entre les syndicalistes et le patronat suédois, confirmée par une promenade à l’abbaye de Vézelay au cours de laquelle les Français ont pu voir le délégué ouvrier suédois donnant le bras à la déléguée du patronat et trinquant avec elle. […D]ans son ensemble la CGT était d’accord pour organiser un rapprochement entre la classe ouvrière et le patronat afin d’établir une paix sociale et de préparer la guerre internationale qui est inévitable » [40].


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